Bob Cranshaw, du Hard Bop et du Jazz (1932-2016)

Publié le 10 décembre 2025 à 05:25

Melbourne Robert Cranshaw, mieux connu sous le nom de Bob Cranshaw, est une figure emblématique et incontournable de l'histoire du jazz. Né le 10 décembre 1932 à Evanston, Illinois, et décédé le 2 novembre 2016 à Manhattan, New York, Cranshaw a traversé six décennies de musique, laissant une empreinte indélébile comme contrebassiste et, plus tard, comme l'un des pionniers de la basse électrique dans le jazz. Il n'était pas un soliste flamboyant, mais un pilier rythmique et harmonique, dont la fiabilité, la polyvalence et le timing impeccable lui ont valu d'être l'un des musiciens de session les plus demandés de son époque.

Cranshaw a commencé sa carrière musicale en jouant de la batterie et de l'euphonium, avant d'adopter la contrebasse, l'instrument qui allait définir sa légende dans le monde du jazz. Il a appris à jouer en grande partie seul, en écoutant et en imitant les grands contrebassistes de l'époque. Son déménagement à Chicago a été le catalyseur de sa carrière, le plaçant au cœur de la scène jazz effervescente de la ville. C'est là qu'il a perfectionné son art, développant le son profond et la pulsation rythmique solide qui le caractérisaient.

En 1957, Cranshaw est engagé par l'organiste Eddie Harris, marquant son entrée dans le circuit professionnel. Cependant, son ascension fulgurante commence véritablement au début des années 1960 avec le légendaire saxophoniste Sonny Rollins.

La collaboration avec Sonny Rollins est sans doute la plus célèbre et la plus durable de la carrière de Bob Cranshaw. Pendant plus de 50 ans, Cranshaw a été le contrebassiste de prédilection de Rollins, un partenaire musical capable de suivre les envolées improvisées du "Saxophone Colossus" avec une structure rythmique inébranlable et une intelligence mélodique rare.

Leur discographie commune est vaste et comprend des albums majeurs, souvent enregistrés pour le prestigieux label Blue Note. Cranshaw excellait dans l'art de la simplicité essentielle. Son jeu, toujours au service de la musique, se concentrait sur la clarté des lignes de basse, le walking bass fluide et l'ancrage profond du groove, permettant aux solistes de s'exprimer pleinement sans se soucier des fondations harmoniques.

 

Au-delà de Rollins, le carnet d'adresses de Bob Cranshaw était une véritable encyclopédie du jazz. Il a participé à d'innombrables sessions d'enregistrement, notamment pour le label Blue Note Records, devenant un membre non officiel de l'équipe de musiciens de studio qui ont façonné le son du hard bop et du jazz post-bop des années 1960.

Sa discographie en tant que sideman est stupéfiante. Il a joué avec Thelonious Monk (sur des albums essentiels comme Monk's Dream), Lee Morgan,  Dexter GordonGrant GreenHorace Silver (notamment sur The Cape Verdean Blues) ou encore J.J. Johnson.

Ce qui rend Cranshaw si spécial, c'est sa capacité à s'adapter à une diversité de contextes musicaux, toujours avec le même niveau d'excellence et de discrétion. Son son était immédiatement reconnaissable : chaud, boisé à la contrebasse, et funky, précis à la basse électrique.

L'une des contributions les plus significatives de Bob Cranshaw à la musique moderne est son rôle dans la légitimation de la basse électrique dans le jazz. Contrairement à de nombreux puristes de la contrebasse, Cranshaw a embrassé l'instrument dans les années 1960, comprenant son potentiel pour apporter un son plus funky et une plus grande projection dans les contextes de fusion et de R&B.

Il est célèbre pour son travail avec le chanteur de R&B Stevie Wonder sur l'album Innervisions, ainsi qu'avec le chanteur-compositeur Paul Simon sur l'album There Goes Rhymin' Simon (1973). Cette transition, loin d'être un reniement, a démontré sa versatilité et son rôle de pont entre le jazz traditionnel et les genres musicaux émergents. Il a prouvé que la basse électrique pouvait être jouée avec la même sensibilité musicale et le même sens de la structure harmonique que la contrebasse.

En plus de sa carrière prolifique en studio, Bob Cranshaw a bénéficié d'une longue et stable carrière à la télévision. Il a été le contrebassiste et bassiste de l'orchestre du célèbre talk-show télévisé américain The Merv Griffin Show dans les années 1960.

Plus tard, de 1983 à 2005, il a été le bassiste de l'orchestre de l'émission culte Saturday Night Live (SNL). Cette position, bien que moins visible pour les amateurs de jazz, lui a conféré une stabilité financière et lui a permis de continuer à jouer une grande variété de styles musicaux devant des millions de téléspectateurs, tout en poursuivant ses collaborations jazz. Ce travail illustre parfaitement sa capacité à être un musicien "tout-terrain", capable d'assurer aussi bien un hard bop complexe qu'une ligne de basse pop ou funk pour la télévision.

Jusqu'à la fin de sa vie, Bob Cranshaw a continué à jouer et à enseigner, partageant son immense savoir avec la nouvelle génération. Il a également été un défenseur des droits des musiciens, notamment en tant que membre actif du conseil d'administration de l'American Federation of Musicians (AFM).

Son héritage se mesure non seulement par l'étendue de sa discographie (des milliers d'enregistrements) et la qualité de son jeu, mais aussi par le respect qu'il a inspiré à ses pairs. Il était le bassiste des bassistes, le modèle de la justesse, de la musicalité et de la fonction rythmique.

Bob Cranshaw est décédé à l'âge de 83 ans des suites d'un cancer. Il laisse derrière lui une œuvre monumentale qui continue d'inspirer. Son 10 décembre est une journée pour se souvenir de l'homme qui a soutenu, parfois littéralement, certains des plus grands moments de l'histoire du jazz et de la musique populaire. Il a été un maître du temps et un pont entre les époques.

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