Le 11 octobre est une date qui, dans les annales du rock, pourrait passer inaperçue, éclipsée par des anniversaires plus tapageurs. Pourtant, c'est le jour de naissance d'un musicien dont l'influence se mesure moins en décibels ou en solos flamboyants qu'en la profondeur des fondations sonores qu'il a érigées. Dominic Aitchison, né en 1976, n'est pas simplement le bassiste du groupe écossais Mogwai ; il en est l'un des membres fondateurs, un architecte primordial qui a contribué à dessiner les plans et à couler le béton d'un genre entier : le post-rock. Loin des projecteurs qu'il semble délibérément fuir, son travail à la basse a été fondamental pour établir l'esthétique du groupe, un son qui oscille entre une quiétude fragile et des déferlements cataclysmiques.
Ce rapport soutient que le génie de Dominic Aitchison réside dans sa capacité à avoir redéfini le rôle de la guitare basse, la faisant passer d'un simple ancrage rythmique à un pilier dynamique, textural et structurel. Sa basse est l'élément indispensable qui confère aux paysages sonores cinématographiques et émotionnellement complexes de Mogwai leur ampleur et leur résonance. Pour célébrer cet anniversaire, nous explorerons en profondeur l'homme, sa technique, ses outils et son héritage discret mais profond. De ses années de formation à Glasgow à la genèse de Mogwai, en passant par une analyse détaillée de son style de jeu, de son équipement et de son impact durable sur une génération de musiciens, ce portrait vise à éclairer la contribution essentielle d'un visionnaire silencieux.
Dominic Aitchison voit le jour le 11 octobre 1976 à Balfron, dans le Stirlingshire, en Écosse. Sa trajectoire initiale ne le destinait pas immédiatement à la scène rock. Avant de devenir l'un des piliers de Mogwai, il a suivi des études de graphisme au Glasgow College of Building and Printing, aujourd'hui intégré au City of Glasgow College. Ce détail biographique, loin d'être anecdotique, offre une clé de lecture essentielle pour comprendre son approche musicale. Le graphisme est un art de la composition, de l'équilibre, de la gestion de l'espace négatif et du contraste pour créer une structure qui évoque une émotion ou transmet une information. Ces principes se retrouveront au cœur de son jeu de basse.
Le contexte musical britannique des années 1990 est alors dominé par la vague de la Britpop. Une scène caractérisée par son exubérance, ses hymnes pop-rock et une certaine forme d'arrogance médiatique. C'est dans ce climat que les futures graines de Mogwai commencent à germer, en opposition directe à la culture ambiante. Dans une interview, le cofondateur Stuart Braithwaite décrira plus tard la Britpop comme une "culture monolithique" marquée par le "laddism et le manque de sincérité", positionnant leur projet naissant comme son "antithèse". Ils ne cherchaient pas à écrire des tubes, mais à explorer des textures et des dynamiques sonores.
La collaboration qui allait définir une part significative du rock alternatif de la fin du XXe siècle a commencé bien avant la formation officielle du groupe. Dominic Aitchison et Stuart Braithwaite se rencontrent en avril 1991. Braithwaite précise que cette rencontre a eu lieu lors d'un concert du groupe Ned's Atomic Dustbin, alors qu'ils n'avaient que 15 ans. C'est quatre ans plus tard, en 1995, qu'ils fondent Mogwai avec le batteur Martin Bulloch, un ami d'école. Leur vision commune est claire : créer une musique qui prend le contre-pied de la scène dominante.
Le nom même du groupe, "Mogwai", emprunté aux créatures du film Gremlins, est révélateur de leur état d'esprit. Braithwaite a souvent répété que ce nom "n'a pas de signification particulière et que nous avons toujours eu l'intention d'en trouver un meilleur". Cette nonchalance affichée est une première manifestation de leur aversion pour la prétention, un trait qui définira leur persona publique et qui se reflète dans l'approche musicale d'Aitchison : l'efficacité et la substance priment sur l'ornementation.
Cette formation en design a vraisemblablement doté Aitchison d'une sensibilité unique à la structure et à la composition. Plutôt que de voir la musique comme une simple succession de notes, il est probable qu'il l'ait abordée comme un espace à organiser, un canevas sur lequel disposer des éléments sonores. Les descriptions récurrentes de la musique de Mogwai en termes visuels et architecturaux – "cinématographique", "panoramique" – ne sont pas un hasard. Leurs célèbres dynamiques "quiet/loud" sont un parallèle direct au contraste visuel entre l'ombre et la lumière. En tant que l'un des principaux compositeurs des débuts du groupe, Aitchison a appliqué cette logique de designer au son. Ses lignes de basse ne sont pas de simples accompagnements ; elles sont les lignes de force d'un plan architectural sonore, délimitant l'espace dans lequel les guitares et la batterie peuvent construire leurs cathédrales de bruit et de mélodie. Ce faisant, il a transcendé le rôle de musicien pour devenir un véritable architecte sonore.
La formation de Mogwai en 1995 a rapidement été suivie par une série de sorties qui ont attiré l'attention de la presse musicale britannique, avide de nouveautés face à une scène Britpop qui commençait à s'essouffler. Le groupe fait ses débuts en février 1996 avec le single "Tuner"/"Lower". Leur son, déjà distinctif, leur vaut des éloges, notamment de la part du NME, qui décerne le titre de "single de la semaine" à "Summer" en fin d'année 1996, puis à "New Paths to Helicon" au début de 1997. Ces premiers succès confirment la pertinence de leur démarche et la singularité de leur proposition musicale.
Leur premier album, Mogwai Young Team, sorti en octobre 1997, est une déclaration d'intention. C'est sur cet opus que le rôle d'Aitchison en tant que compositeur principal, aux côtés de Braithwaite, est le plus évident. Ses lignes de basse y sont déjà emblématiques : mélodiques, patientes, et dotées d'une capacité à maintenir une tension immense avant les déflagrations sonores qui deviendront la marque de fabrique du groupe. L'album établit les fondations de ce que l'on appellera le son Mogwai, un son où la basse n'est pas en retrait mais au centre de la narration musicale.
Dès les débuts de Mogwai, le jeu d'Aitchison se démarque par sa fonction compositionnelle. Ses lignes de basse portent souvent le thème mélodique principal ou fournissent une contre-mélodie essentielle, défiant ainsi le rôle traditionnellement assigné à l'instrument dans la musique rock. Cette approche est cruciale dans la construction de l'identité sonore du groupe. La dynamique de composition des premières années, où Aitchison était une force motrice, a permis d'inscrire cette philosophie dans l'ADN musical de Mogwai, bien avant l'arrivée de Barry Burns, qui prendra plus tard une part plus importante dans l'écriture des morceaux.
Cette approche peut être qualifiée de celle de l' "anti-héros de la basse". Le style d'Aitchison est à l'opposé de l'archétype du bassiste virtuose et démonstratif. La recherche souligne sa polyvalence (jeu au mediator ou aux doigts) et sa concentration sur la cohésion sonore du groupe. Son jeu est décrit comme étant fait de "riffs de basse définis" au sein d'un "son ambiant", ce qui contraste fortement avec le jeu soliste souvent célébré dans le rock ou le jazz. Le post-rock, en tant que genre, privilégie la texture collective, la dynamique et l'arc émotionnel au détriment de la performance individuelle. L'importance d'Aitchison ne réside donc pas dans sa complexité technique, mais dans son intelligence compositionnelle. Il a compris que dans la musique de Mogwai, la puissance de la basse réside autant dans ce qu'elle ne joue pas que dans ce qu'elle joue. Son utilisation de l'espace et de la répétition construit la tension qui rend les sections "fortes" si cathartiques. Il est un maître du minimalisme et du soutien structurel, ce qui fait de lui un architecte parfait pour le genre, même s'il n'est pas un "héros" conventionnel de son instrument.
Avec leur deuxième album, Come On Die Young (1999), Mogwai explore des territoires sonores plus calmes et dépouillés. Le son du groupe évolue vers des arrangements plus spacieux, et le jeu d'Aitchison s'adapte en conséquence. Sa basse devient encore plus minimaliste, plus atmosphérique, privilégiant la tenue de note et la résonance pour créer des nappes harmoniques profondes qui soutiennent la mélancolie ambiante de l'album.
En 2001, Rock Action marque une nouvelle étape, avec l'introduction d'éléments électroniques plus marqués et la présence de chanteurs invités comme Gruff Rhys de Super Furry Animals ou David Pajo de Slint. Dans ce nouveau contexte, le rôle d'Aitchison est de faire le pont entre les éléments organiques et synthétiques. Sa basse, toujours chaleureuse et présente, offre un ancrage humain et tangible au milieu d'un paysage sonore en pleine mutation, prouvant sa capacité à évoluer tout en restant le pilier fondamental du son de Mogwai.
La basse en pilier du groupe
L'approche de Dominic Aitchison de la basse est multidimensionnelle. Ses lignes fonctionnent simultanément sur plusieurs niveaux : elles établissent la fondation harmonique, se verrouillent avec la batterie de Martin Bulloch pour créer un socle rythmique implacable, et tissent des lignes mélodiques indépendantes qui dialoguent avec les strates de guitares. Cette complexité fonctionnelle est au cœur de la puissance narrative de la musique de Mogwai.
Le son caractéristique de Dominic Aitchison est le produit d'une interaction subtile entre sa technique et des choix d'équipement très spécifiques. Il a développé une palette sonore reconnaissable, capable de naviguer entre la clarté perçante et la chaleur ronde.
Sa préférence pour des basses comme les modèles Fender Precision et Jazz, ainsi que les Rickenbacker 4001/4003, témoigne d'un goût pour des sonorités classiques et éprouvées, réputées pour leur capacité à s'intégrer dans un mix dense. L'utilisation d'un modèle plus rare comme la Travis Bean TB2000 montre également une curiosité pour des instruments au caractère unique. Un détail technique crucial est l'installation fréquente de micros passifs EMG, qui offrent une clarté et une définition accrues, essentielles pour que la basse ne soit pas noyée sous les murs de guitares de Mogwai.
En matière d'amplification, son choix s'est souvent porté sur des configurations Ampeg ou Orange, notamment les baffles OBC115 et OBC410. Ces marques sont réputées pour leur son puissant, riche en médiums, qui permet à la basse de conserver sa place et son impact, même dans les moments les plus assourdissants du groupe.
Son pédalier, bien que changeant, a compté des éléments récurrents. Le préampli Tech 21 SansAmp Bass Driver a longtemps été une pièce maîtresse, lui permettant d'obtenir une saturation de type "ampli" directement depuis son pédalier. Il a également utilisé des overdrives comme la Boss ODB-3 et, plus récemment, des préamplis de la marque Darkglass, ainsi que des compresseurs et des réverbérations pour sculpter son son.
Finalement, sa technique de jeu, alternant entre le plectre pour l'attaque et la précision dans les passages les plus intenses, et le jeu aux doigts pour la chaleur et la nuance dans les moments plus calmes, est la clé de sa polyvalence. Comme le souligne une analyse, "il sonne toujours comme lui-même", quel que soit l'équipement utilisé, preuve que l'essentiel de son son réside dans ses mains et son intention musicale.
| Catégorie | Modèle Spécifique | Notes d'Utilisation et Caractéristiques Sonores |
|---|---|---|
| Basses | Fender Precision Bass | Instrument de prédilection, souvent équipé de micros EMG passifs pour plus de clarté et de punch. |
| Fender Jazz Bass | Utilisé pour sa polyvalence et son son plus articulé dans les médiums-aigus. | |
| Rickenbacker 4001 / 4003 | Apprécié pour son son percussif et son "growl" caractéristique, idéal pour percer un mix dense. | |
| Travis Bean TB2000 | Basse avec un manche en aluminium, connue pour son sustain exceptionnel et sa sonorité unique. | |
| Amplificateurs | Têtes Ampeg / Orange | Fournissent la puissance et la chaleur nécessaires, avec des médiums prononcés pour une bonne présence. |
| Baffles Orange OBC115 / OBC410 | Combinaison classique offrant à la fois des basses profondes (1x15") et une attaque précise (4x10"). | |
| Pédales d'Effets | Tech 21 SansAmp Bass Driver DI | Pédale de préampli/DI utilisée de longue date pour obtenir une saturation typée Ampeg/Orange et sculpter le son de base. |
| Boss ODB-3 Bass OverDrive | Utilisée pendant une longue période pour les sons de saturation plus agressive. | |
| Pédales Darkglass | Choix plus récent pour des sons de préampli et de saturation modernes et polyvalents. | |
| Compresseurs (ex: Empress) | Utilisés pour uniformiser la dynamique et ajouter du sustain, particulièrement dans les passages calmes. | |
| Réverbérations (ex: Old Blood Noise) | Permettent de créer des textures ambiantes et de donner de l'espace au son de la basse. |
Au-delà de Mogwai
Bien que Mogwai soit son projet principal et l'œuvre de sa vie, Dominic Aitchison a également exploré d'autres avenues musicales. Il a notamment joué de la basse au sein des groupes Crippled Black Phoenix et Stage Blood. Ces collaborations, bien que plus discrètes, témoignent de sa curiosité musicale et de sa capacité à adapter son style distinctif à des contextes différents. Elles montrent un musicien qui, tout en étant profondément ancré dans l'identité de son groupe principal, reste ouvert à d'autres formes d'expression, enrichissant ainsi sa propre palette sonore.
L'un des aspects les plus fascinants de Mogwai est le contraste saisissant entre la nature épique, sombre et intensément sérieuse de leur musique et la personnalité publique des membres du groupe, qui est tout le contraire. Les interviews révèlent des individus terre-à-terre, dotés d'un humour pince-sans-rire et d'une forte propension à l'autodérision.
Dominic Aitchison incarne parfaitement ce paradoxe. Dans une interview pour Interview Magazine, il décrit la vie en tournée non pas comme une épopée rock'n'roll, mais comme une succession d'habitudes simples : regarder en boucle des "films vraiment nuls" comme Team America sur le bus de tournée, car "il est difficile de regarder un film sérieux après un concert". Il confie que ce qui lui manque le plus de chez lui, ce sont des choses triviales comme son propre lit et les "saucisses carrées" d'Écosse. Il partage également avec Stuart Braithwaite une passion pour les bandes dessinées, notant au passage l'obsession de ce dernier pour Batman.
Cette légèreté se retrouve dans leur approche des titres de leurs morceaux. Des titres comme "I'm Jim Morrison, I'm Dead" ou "Scotland's Shame" ne sont pas des déclarations profondes, mais des blagues de potaches ou des références obscures. Barry Burns, un autre membre du groupe, résume parfaitement cette dualité : "Malgré les preuves constantes que nous sommes une bande de vrais crétins, certaines personnes pensent que nous prenons les choses un peu trop au sérieux".
Cette attitude n'est pas qu'un simple trait de caractère ; elle relève d'un choix artistique délibéré qui protège l'intégrité de leur musique instrumentale. La musique de Mogwai, dépourvue de paroles, est par nature ouverte à l'interprétation. En refusant systématiquement d'être perçus comme des artistes trop sérieux ou prétentieux, les membres du groupe créent une distance. L'humour et les titres absurdes agissent comme un mécanisme de défense, un bouclier contre les surinterprétations et la prétention "un peu dégoûtante" qu'ils associent aux grandes déclarations artistiques. En refusant d'imposer un sens explicite ou un récit d' "artiste torturé" à leur œuvre, ils obligent l'auditeur à s'engager avec la musique elle-même, sur un plan purement sonore et émotionnel. Aitchison, en tant que membre fondateur, est l'un des principaux gardiens de cette éthique fondamentale.
En ce 11 octobre, célébrer l'anniversaire de Dominic Aitchison revient à reconnaître une contribution qui dépasse de loin la simple somme de ses lignes de basse. Il n'est pas seulement un musicien accompli, mais le co-créateur d'un langage musical qui a redéfini les contours du rock à la fin du XXe siècle. Son travail au sein de Mogwai a été fondamental, non pas en tant qu'accompagnateur, mais en tant qu'architecte, posant les fondations sur lesquelles des paysages sonores d'une puissance et d'une beauté immenses ont pu être érigés.
Son influence, bien que discrète, est profonde et durable. Aitchison n'est peut-être pas un nom aussi connu que d'autres bassistes de rock, mais son approche – privilégiant la texture, la mélodie subtile et la solidité structurelle à la virtuosité ostentatoire – est devenue un modèle pour d'innombrables bassistes dans les scènes post-rock, ambiantes et indie qui ont suivi les traces de Mogwai. Son son et sa philosophie font désormais partie de la trame même du genre.
Après plus d'un quart de siècle de carrière, Dominic Aitchison demeure le pouls inébranlable et la fondation sismique de l'un des groupes les plus vitaux et endurants du rock moderne. Il est la preuve vivante du pouvoir de la conviction tranquille et de l'impact profond d'un artiste entièrement dévoué à servir la chanson, le son et la vision collective. Son héritage est celui d'un visionnaire discret, dont l'œuvre continue de résonner avec une force tranquille mais indéniable.
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