
Né le 12 octobre 1942 à Glasgow, James Dewar demeure l'une des figures les plus tragiquement sous-estimées du rock classique. Pour des millions de fans, il fut la "sauce secrète" du son du guitariste Robin Trower, une double force de la nature qui assurait non seulement les fondations rythmiques du power trio avec sa basse, mais qui envoûtait les foules avec une voix de "blue-eyed soul" d'une puissance et d'une profondeur rares. Cet article anniversaire rend hommage à celui que beaucoup considèrent comme l'un des plus grands chanteurs-bassistes de sa génération, un talent immense dont la lumière, bien qu'essentielle, est souvent restée dans l'ombre du guitar hero qu'il magnifiait.
La carrière de James Dewar commence au début des années 60, une époque d'effervescence musicale. Il fait ses premières armes en tant que guitariste au sein de Lulu and the Luvvers, le groupe qui propulsera la jeune chanteuse Lulu vers la gloire avec le hit "Shout". Cependant, c'est en se tournant vers la basse qu'il trouve sa véritable voie. À la fin de la décennie, il co-fonde Stone the Crows, un groupe de blues-rock progressif mené par la charismatique chanteuse Maggie Bell et le talentueux guitariste Leslie Harvey. Au sein de cette formation, Dewar enregistre deux albums acclamés, Stone the Crows et Ode to John Law (tous deux de 1970), sur lesquels son jeu de basse solide et son talent vocal commencent déjà à attirer l'attention. Maggie Bell dira d'ailleurs de lui plus tard : "C'est l'un des meilleurs chanteurs que j'aie jamais entendus".
Le tournant de sa carrière survient en 1972, lorsque le guitariste Robin Trower, fraîchement parti de Procol Harum, décide de former un power trio. Sur la suggestion du chanteur Frankie Miller, il recrute James Dewar, qui prend en charge la basse et, surtout, le chant principal. Cette décision s'avère être un coup de génie. Trower lui-même qualifiera plus tard cette rencontre de "jour le plus chanceux de sa vie". Une alchimie quasi mystique s'opère instantanément entre les deux hommes. La basse de Dewar, décrite comme une "toile de fond épaisse et épurée", devient le socle parfait sur lequel Trower peut déployer ses explorations guitaristiques hendrixiennes. Mais c'est la voix de Dewar qui transcende le projet. Profonde, granuleuse et chargée de soul, elle apporte une chaleur et une humanité qui contrebalancent la pyrotechnie de la guitare, créant un son unique qui définira le groupe.
Le chef-d'œuvre de cette collaboration est sans conteste l'album Bridge of Sighs, sorti en 1974. Produit par Matthew Fisher, un autre ex-Procol Harum, l'album devient un classique instantané, atteignant le Top 10 aux États-Unis et se vendant à des millions d'exemplaires. Sur des titres comme "Too Rolling Stoned", la ligne de basse galopante de Dewar lance le morceau et le propulse avec une énergie funk-blues irrésistible. Sur la chanson-titre éponyme, une ballade blues lente et atmosphérique, sa performance vocale est d'une intensité poignante, une prestation qui amènera Ann Wilson du groupe Heart à la qualifier de "l'une des meilleures chansons de blues jamais écrites".
Album | Année de sortie | Rôle de James Dewar | Notes |
---|---|---|---|
Twice Removed from Yesterday | 1973 | Basse, chant | Premier album du trio. |
Bridge of Sighs | 1974 | Basse, chant | Album phare, multi-platine aux États-Unis. |
For Earth Below | 1975 | Basse, chant | Consolide le succès du groupe. |
Robin Trower Live! | 1976 | Basse, chant | Capture l'énergie du groupe sur scène. |
Long Misty Days | 1976 | Basse, chant | Dernier album avec le batteur Bill Lordan. |
In City Dreams | 1977 | Chant | Dewar se concentre uniquement sur le chant. |
Caravan to Midnight | 1978 | Chant | Deuxième album sans Dewar à la basse. |
Victims of the Fury | 1980 | Basse, chant | Retour à la formule du power trio. |
Back It Up | 1983 | Basse, chant | Dernière collaboration enregistrée. |
Le talent de James Dewar résidait dans sa capacité à exceller dans deux domaines distincts mais complémentaires. La Voix : Son style vocal est unanimement salué pour sa profondeur et son âme. Influencé par des maîtres comme Ray Charles et Otis Redding, il possédait ce timbre rocailleux et puissant qui pouvait exprimer à la fois la douleur et l'extase. La rumeur veut qu'Eric Clapton ait un jour décrit sa voix comme "la plus soul qu'il ait jamais entendue". Pour Robin Trower, la combinaison de cette "belle voix" et de sa "guitare brute" était la clé du succès du groupe. La Basse : Armé le plus souvent d'une Fender Precision Bass usée par les tournées, son jeu était l'incarnation de l'efficacité. Loin des démonstrations techniques, son approche était fondamentalement mélodique et rythmique. Il créait des lignes de basse qui non seulement ancraient solidement le trio, mais qui dialoguaient avec la guitare, laissant l'espace nécessaire à Trower pour briller tout en maintenant un groove implacable. Il était le centre de gravité qui permettait à la comète Trower de ne jamais se perdre.
Après une décennie de succès, Dewar quitte le groupe en 1983. Un album solo, Stumbledown Romancer, enregistré au sommet de sa gloire dans les années 70, reste dans les tiroirs de la maison de disques et ne sera publié, à titre posthume, qu'en 1998, bien trop tard pour lancer une carrière en son nom propre. Les dernières années de sa vie sont marquées par la maladie. Atteint de CADASIL, un trouble génétique rare qui provoque des accidents vasculaires cérébraux, il se retrouve lourdement handicapé et s'éteint le 16 mai 2002, à l'âge de 59 ans.
La carrière de James Dewar met en lumière le rôle complexe du partenaire indispensable. Son double talent de chanteur et bassiste a été la pierre angulaire sur laquelle s'est bâti le son légendaire du Robin Trower Band. Sans lui, l'alchimie n'aurait jamais été la même, un fait que Trower a lui-même reconnu. Pourtant, le format même du "guitar hero band" a structurellement limité sa reconnaissance individuelle. Son album solo non publié en temps voulu témoigne d'un manque de vision de l'industrie pour un artiste qui n'était pas le "leader" officiel. Lorsque le groupe a tenté de le décharger de la basse pour qu'il se concentre sur le chant, la magie s'est estompée, prouvant que c'était précisément cette dualité qui faisait sa force. James Dewar reste ainsi l'exemple parfait de l'artiste dont le génie s'est exprimé le plus brillamment en synergie, un pilier essentiel dont la propre lumière fut paradoxalement éclipsée par la structure qu'il soutenait.
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