Interview, Igor Pichon, le groovy bassiste arrangeur de Malted Milk

Publié le 14 novembre 2025 à 06:02

Igor Pichon est un bassiste profondément ancré dans le groove. Actif sur la scène blues, soul et jazz, il s’est imposé comme un musicien de référence grâce à sa polyvalence, sa finesse d’écoute et son sens inné du rythme.

Membre de divers collectifs, il joue aussi bien de la basse électrique que de la contrebasse, apportant une assise solide et un drive subtil aux formations avec lesquelles il collabore. Sur scène, son jeu prend toute son ampleur : que ce soit dans des jam blues intimes ou au sein d’un combo soul-jazz, par son engagement artistique, il illustre parfaitement l’idée que la basse n’est pas seulement un instrument de soutien, mais une véritable voix rythmique et expressive.

 

Tu as commencé la musique très jeune. Comment s'est déroulé ton apprentissage et notamment le solfège ?

J'ai eu ma première guitare vers 12, 13 ans. Au début, j’étais vraiment en autodidacte, avec les trois accords du blues et des morceaux de Nirvana. J'ai pris une seule année de cours de guitare, mais mon professeur, un type super cool et honnête, m'a dit : "On va peut-être arrêter les cours, parce que là, depuis deux fois, c'est toi qui me montre des trucs ! Je ne me sens pas légitime à te faire payer pour des cours ». On adorait discuter musique, mais ce n'était plus vraiment un cours. Donc, j'ai continué seul, en affûtant mon oreille pour relever les morceaux.

Le solfège, c'est une autre histoire. Il n'est jamais vraiment arrivé de manière classique ! J'ai eu un autre prof qui m'écrivait des partitions à la fin de chaque cours. Ce n'est qu'au bout de huit mois que je lui ai avoué que je ne savais pas lire une note ! Il m'a regardé en me disant : "Tu te moques de moi ? Je passe un quart d'heure à la fin de chaque cours à tout t'écrire sur partition et en fait tu ne les regardes même pas ?" Je n'osais pas lui dire. Du coup, on est repartis des bases, et il m'a fait déchiffrer "Au clair de la lune" ou "J'ai du bon tabac" en une semaine, alors qu'on faisait du Marcel Dadi le reste du temps ! Les seules connaissances théoriques que j'ai vraiment acquises, c'était au conservatoire, en classe de jazz. Ce n'était pas ma tasse de thé d'y aller assidûment, mais j'y allais pour comprendre les couleurs harmoniques, les couleurs d'accords qui me plaisaient, et apprendre à les nommer. L'idée, c'était de pouvoir parler le même langage que les autres musiciens en répète. Quand tu bosses avec un batteur et que tu veux qu'il passe à la croche ou à la double, ou que tu lui parles de l'ouverture de charley sur le 4, c'est tellement plus rapide ! J'ai eu des expériences avec des musiciens très instinctifs, qui sont bons, mais qui ne savent pas expliquer ce qui ne leur plaît pas. Ils te disent : "C'est un peu plus pourpre et mauve, avec des couleurs..." Et moi, je dis : "Non, donne-moi du concret ! Tu veux la grosse caisse sur le 3 ? Tu veux le 2 et le 4 ?". J'ai pris une semaine pour essayer de comprendre leur jargon et être capable de communiquer efficacement.

 

Bientôt 15 ans que tu as rejoint Malted Milk. Quel a été ton rôle dans l'évolution artistique du groupe, et comment cette vision a-t-elle influencé leurs albums ?

Quand je suis arrivé, il n'y avait pas vraiment de direction artistique poussée. Les musiciens, y compris le leader, n'avaient pas vraiment la notion de l'arrangement poussé. Au premier arpège, je me rendais compte que tout le monde jouait tout le temps. Or, pour que la musique soit jolie, digeste, qu'il y ait des contrastes, il faut des moments où l'on lève les mains, où le guitariste ne joue pas, où il ne reste qu'une nappe de clavier. Ils avaient le réflexe de tout jouer tout le temps, et ça faisait un "bulldozer", sans air. Je leur disais : "Ce n'est pas parce qu'on est sur scène qu'on doit forcément jouer. Jouer de la musique, c'est aussi ne pas jouer." Cette approche a profondément marqué les albums, de "Soul of a Woman" au tout dernier, "1975". J'ai aussi écrit plusieurs morceaux, comme "Sweet Sweet Baby" et "Touch You" sur le premier EP, "Get Some".

 

Tu t'impliques beaucoup dans les arrangements, y compris avec la section cuivre ?

Oui, beaucoup. Les cuivres arrivent souvent avec quelques idées, et je vais en studio avec eux pour enregistrer. Là, on remanie certaines choses. Des fois, je dis : "C'est très bien, on ne touche pas, mais on va en enlever la moitié parce qu'il y a beaucoup trop d'informations." Ou alors, on réécrit totalement certains trucs parce que j'estime qu'il y a un truc différent à faire ou qui collerait plus à l'esthétique du morceau. J'aime beaucoup travailler avec les deux cuivres en studio, on se comprend vite, c'est très agréable. Et pour la section rythmique (basse, batterie, guitare, clavier), j'ai encore plus un rôle à jouer. Mais quelque part, de moins en moins, car à force de travailler ensemble, tout le monde commence à avoir des réflexes d'arrangement.

 

La formation actuelle de Malted Milk semble stable depuis 2014. Comment se répartissent les rôles aujourd'hui ?

Oui, ça fait bientôt dix ans qu'on est la même équipe, à l'exception d'une petite pause du guitariste rythmique, Éric Chambouléron, qui est revenu depuis. Je dirais qu'Éric, c'est le musicien qui apporte la touche la plus importante dans la couleur du groupe. Il a un jeu qui n'est pas académique et un touché vraiment à lui. Je le laisse souvent chercher ses trucs parce que je sais que quand il les trouve, ça défonce ! Le petit riff, le petit son, la petite gimmick qui va vraiment colorer la compo. Il est très brillant dans cet exercice, il faut lui laisser le temps car il écoute bien tout ce qui se passe et est très pertinent dans ses propositions. Et puis, un peu chacun se met au diapason, chacun commence à avoir ses réflexes sur l'arrangement. On essaie des trucs, des fois on modifie : "Finalement, sur ce couplet, on va mettre un clavier et pas de guitare, ou l'inverse." On essaie de voir ce qui marche le mieux.

 

En tant que bassiste, comment définirais-tu ton "son" et quel est ton rapport au matériel ?

C’est avant tout le toucher que tu as sur ta basse ! Le matos, j'ai envie de dire, c'est du bonus pour améliorer ton toucher de basse. En vrai, une bonne Precision Bass, tu la branches direct dans la console ou dans la carte son, ça marche.

Après, pour le backline, sur les gros festivals, les gros plateaux, j'aime bien les Ampeg SVT Vintage avec un 8x10 ou un 4x10. Si ce n'est pas possible, je demande un Markbass classique, qui est assez neutre, qui a du bas qui se tient bien et qui ne pollue pas le plateau. J'avoue que les SVT classiques Ampeg noirs, je ne suis pas fan. Je trouve que les médiums sont pas top, ce n'est pas agréable. Mais du moment que tu as une basse avec un bon grain, même une vielle Hofner, même les rééditions pas très chers, tu les branches direct dans la console, ça marche.

 

Tu as quelques pédales d'effet fétiches ?

Mon fidèle Boss OC2 bien sûr ! Même si je ne l'utilise pas beaucoup, c'est pour des petits moments, des petites notes, des bouts de groove. Un enveloppe filter type Q-Tron ou Dod. Et puis un petit boost type RC Booster, qui fait un léger drive. Si j'ai envie de faire un passage un peu rock'n'roll, une fin de morceau jouée au médiator par exemple, où on veut vraiment que ça passe un step au niveau de l'intention, avec une énergie plus rock. Ça peut aussi m'arriver de mettre un petit simulateur comme la petite boîte rouge Thunder qui s'appelle Bassman Amp, c'est pas mal du tout. Ça m'arrive de mettre ça sur certaines fins de morceaux, ou même pour du slap. Avec Space Captain, j'utilise un octaver et une phaser Electro-Harmonix, ça fait un son énorme !

Pour les amplis sur les petites scènes ou dans les bars, j'ai un GR Bass 800 qui est un petit combo 12 pouces, il pèse à peine 12-13 kilos. Et récemment, j'ai commandé un Fender Rumble 500. J'étais en contrebasse ces derniers jours et j'ai joué sur un Rumble 500 avec deux 10 pouces, et pour la contrebasse, c'était excellent ! J'ai dit : "Ah ouais, d'accord, il faut que j'en achète un direct !" J'étais épaté. Ça fait des années que je cherchais un truc, que j'essayais des GR Bass, des Aguilar, et ça ne marchait pas avec la contrebasse. un ami me prête son Rumble juste pour une date, et là, c'est le jour et la nuit. Il y a une assise, c'est fat, c'est rond. Donc, j'en ai acheté un pour la contrebasse, et on verra comment ça marche avec la guitare basse. C'est gros, mais c'est très léger pour sa taille, et ça développe un gros rendement dans le bas.

 

Malted Milk rencontre à chaque fois un vrai succès sur scène, mais tu regrettes de ne pas pouvoir tourner plus souvent. Comment l'expliques-tu ?

C'est la question à un million ! On cartonne à chaque fois, les gens sont à fond, ça danse, ça chante, c'est génial. Et la dernière question qu'on se pose, c'est : "Pourquoi on n'arrive pas à jouer plus alors qu'à chaque fois ça fout le feu ?" C'est un peu éminent, on sait bien que c'est économiquement que ça ne suit pas. Mais on se demande si ça vient de nous, si on suscite moins d'intérêt. On est plus vieux, on a tous entre 40 et 50 piges. Le pianiste et moi avons le même âge, 42 ans. C'est pas facile pour les musiques comme la nôtre quand on est français. C'est une musique très américaine. Est-ce qu'en France, ça manque de légitimité ? Disons qu'il y a un truc assez concret et parlant : sur un festival de blues ou de soul, nos tourneurs nous démarchant, souvent les programmateurs vont préférer faire venir, pour à peu près le même prix, un groupe de quatre Américains plutôt qu'un groupe de huit musiciens français qui font bien de la soul.

 

Au-delà de Malted Milk, tu as d'autres projets musicaux ?

Oui, je suis à Nantes, et ce que j'ai en régulier là-bas, c'est la "Slam Funk", une jam qui se passe une fois par mois, le premier dimanche du mois, sur une péniche. C'est la Soul Train ! On fait que de la Funk, il y a pas mal de musiciens qui viennent. Et puis, je joue de temps en temps, deux ou trois fois par an, au Zygobar, un tout petit bar, c'est notre QG. On est très potes avec le patron, Fabien, un mec adorable qui se bat pour faire de la musique chez lui. On a la chance d'avoir encore des tauliers de bar comme ça, qui sont amoureux de la musique et qui ont conscience de ce qu'est notre métier.

 

Le statut d'intermittent du spectacle est souvent pointé du doigt. Quel est ton ressenti en tant qu'artiste ?

Oh là là, oui. On n'est pas des branleurs, on n'est pas des assistés, contrairement à ce que beaucoup de gens pensent en France ! On bosse durement. Les premières années avec Malted Milk, on devait partager nos chambres, on payait nos repas tous les midis. Je ne me plains pas. Mais les cachets n'ont pas vraiment augmenté depuis 20 ans, alors que le coût de la vie a explosé. On se dit : On n'est quand même pas cher payé ! C'est vraiment pour l'amour du métier, de la musique, pour faire kiffer les gens et kiffer nous aussi.

 

Au-delà des difficultés financières, il y a aussi des problématiques personnelles qui influencent tes choix et ton engagement ?

Oui, depuis que je suis papa, ma priorité, c'est mon fils. On a un petit garçon en situation de handicap au niveau des mains. C'est très dur pour lui et pour nous. C'est un gamin passionné par la musique, mais il pourra très difficilement faire quelque chose avec ses mains sur un instrument. On fait beaucoup de rééducation, mais tout n’est pas remboursé en France. Chaque année, il faut qu'on arrive à trouver plusieurs milliers d’euros pour financer ça. On fait des crowdfundings. On met tout en œuvre pour lui, pour que sa vie soit la plus safe et la plus kiffante possible. Donc, il faut qu'on gagne un minimum pour des aménagements, pour qu'il soit le plus serein possible. Il n'est pas en fauteuil, donc les gens ne captent pas forcément sa situation. Mais il tombe beaucoup plus vite, ne peut pas marcher plus d'une demi-heure, prendre un verre d'eau ou manger seul, c'est une mission pour lui. Mais il se débrouille, il trouve ses chemins. Il s'adapte à sa condition. Et je me dis que pour la musique, s'il continue comme ça, il trouvera le moyen de faire de la musique d'une façon ou d'une autre, à sa manière.

Il a 8 ans, et il est déjà passionné par la musique. Quand il avait un an et demi, deux ans, il me demandait déjà des morceaux de blues en boucle, du RL Burnside, du Mississippi blues très minimaliste. À la maison, il a toujours entendu de la musique. Je ne le force pas. Quand on est en voiture, c'est lui qui me dit : "Tiens, tu mettras ça sur ma tablette, sur ma compil." Donc, il a une compil qui passe de Prince à ACDC, de Rage Against the Machine à Michael Jackson, à James Brown, à du vieux blues, à la BO de Retour vers le Futur, à la Batdance de Batman des années 80 ! Il écoute tout ça et kiffe. Il a déjà une sacrée culture pour ses 8 ans. À l'école, personne ne comprend de quoi il parle quand il parle de musique. Mais je ne le force pas. S'il a une appétence pour ça, tant mieux. Parfois, il en écoute moins, il est dans d'autres délires, mais de temps en temps, j'entends dans sa chambre ACDC ou Nirvana tourner. C'est super.

 

Un dernier mot pour nos bassistes ?

Je pense que le plus important dans la musique, c'est de jouer avec des gens qui jouent bien, qui ont la culture, et qui sont adorables. On préférera toujours jouer avec un mec comme ça qu'avec un monstre musical qui est désagréable. Pour moi, c'est 50% de l'équation. En vieillissant, on se rend compte qu'on veut faire de la musique qui nous plaît, qui nous fait du bien, avec des gens sympas, empathiques, curieux, qui aiment les gens. C'est un ensemble. On joue mieux et on s'amuse plus quand humainement, on partage des choses. Je kiffe les gens passionnés, peu importe leur passion. À côté de la musique, mes autres passions sont le cinéma et les voitures anciennes. J'adore discuter avec les gens qui s'intéressent aux choses, et je pense qu’il faut essayer de l'être autant que possible.

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