
Pino Presti, de son nom de naissance Giuseppe Prestipino Giarritta, est une figure de proue de l'industrie musicale italienne, dont l'influence s'étend bien au-delà de son rôle initial de bassiste. Né à Milan le 23 août 1943, il s'est imposé comme un archétype de l'artiste polyvalent, cumulant avec excellence les fonctions de chef d'orchestre, arrangeur, compositeur, producteur de musique et bassiste. Sa carrière, qui a débuté en 1961, est un voyage à travers des genres musicaux aussi variés que la pop, le jazz, le funk, la musique latine, et le disco, faisant de lui une personnalité internationalement reconnue comme l'un des grands noms de la musique italienne. La richesse de sa contribution réside dans sa capacité unique à unir une virtuosité technique à une vision créative globale, ce qui lui a permis de façonner des productions majeures et de laisser une empreinte indélébile sur plusieurs scènes musicales.
Fils de virtuose
Né Giuseppe Prestipino Giarritta à Milan, la musique a toujours fait partie intégrante de son environnement familial. Il est le fils du renommé violoniste Arturo Prestipino Giarritta, une figure respectée dans le milieu musical. Sous l'influence paternelle, Presti a commencé à étudier le piano et la théorie musicale dès l'âge de six ans. Cette formation musicale précoce lui a donné une compréhension profonde de l'harmonie, de la mélodie et de la structure compositionnelle, un fondement qui se révélera essentiel pour la suite de sa carrière, bien au-delà de sa future maîtrise d'un instrument unique.
L'innovateur de la basse
À l'âge de 17 ans, Pino Presti a fait son entrée dans le monde professionnel de la musique, se produisant dans des clubs et des studios d'enregistrement en tant que chanteur et bassiste. C'est cependant sa passion pour la basse électrique qui a rapidement pris le dessus, le poussant à se concentrer exclusivement sur l'instrumentation. Bien qu'il ait commencé par apprendre la guitare basse en autodidacte, il a développé sa propre technique unique, utilisant soit le médiator, soit le pouce. Cette approche singulière, non conventionnelle par rapport aux méthodes classiques, lui a permis de créer un son distinctif, caractérisé par un "groove considérable".
Son statut de pionnier dans le domaine de la basse électrique en Italie est confirmé par le fait qu'il fut "probablement le premier à jouer d'une Fender Jazz Bass en Italie". Cette innovation technique, combinée à sa solide formation théorique, lui a permis de se distinguer rapidement et de devenir l'un des musiciens de studio les plus demandés. Sa maîtrise précoce de l'instrument, nourrie à la fois par une éducation formelle et une approche autodidacte, a jeté les bases d'une carrière où il ne s'est pas contenté de suivre les conventions, mais les a redéfinies. Son talent n'était pas seulement celui d'un instrumentiste habile, mais celui d'une force musicale créative, capable d'apporter une signature unique à chaque projet.
La touche magique des années 60
Durant les années 1960, Pino Presti s'est rapidement imposé comme le bassiste de session le plus sollicité d'Italie. Son groove, son son unique et sa polyvalence lui ont ouvert les portes des plus grands studios d'enregistrement, où il a collaboré avec un panthéon d'artistes de la pop italienne, notamment Adriano Celentano, Giorgio Gaber, Ornella Vanoni, Gino Paoli, Bruno Lauzi, Fabrizio De André, et Gigliola Cinquetti. Sa réputation de musicien fiable et créatif a été forgée au cours de cette période faste, durant laquelle il a enregistré des centaines de morceaux, contribuant de manière fondamentale à la sonorité d'une époque.
L'ère Mina (1971-1978) : Un partenariat légendaire
La collaboration avec la chanteuse pop italienne Mina a été un jalon décisif dans la carrière de Pino Presti, la transformant d'un musicien de session de premier plan en un véritable partenaire artistique et créatif. Après l'avoir accompagné en tant que bassiste pendant de nombreuses années, Mina lui a demandé d'assumer le rôle d'arrangeur et de chef d'orchestre à partir de 1971. Il a ainsi arrangé et dirigé un total de 86 titres et de nombreux albums légendaires pour elle, à l'exception du tube "Parole Parole", contribuant de manière significative aux succès de la chanteuse.
Pino Presti a signé les arrangements de tubes incontournables tels que "Grande grande grande", "E poi...", "L'importante è finire", "Città vuota" (version 1978), "Fiume azzurro", et "Domenica sera". Il est également crédité comme compositeur de quatre chansons pour Mina : "Tentiamo ancora" (1973), "L'amore è un'altra cosa" (1974), "Amante amore" (1977), et "Bignè" (1988).
Le point culminant de ce partenariat fut le concert de 1978 à Bussoladomani, la dernière apparition publique de Mina Lors de cet événement, Presti a dirigé une formation de 14 musiciens. La presse italienne a qualifié ce concert de "triomphe" et a salué la contribution de l'orchestre dirigé par Presti, le comparant à un "grand show de Las Vegas". Ce moment clé ne marque pas seulement la fin d'une ère pour Mina, mais aussi le sommet de la transformation de Presti, qui s'est révélé être un directeur musical capable de diriger des productions à grande échelle.
Au-delà de ses succès en Italie, Pino Presti a également collaboré avec des icônes de la scène musicale internationale, ce qui atteste de sa polyvalence et de sa capacité à transcender les frontières stylistiques. Il a travaillé avec des artistes tels que Shirley Bassey, Quincy Jones, Wilson Pickett, Maynard Ferguson et Stéphane Grappelli.
Sa collaboration avec Ástor Piazzolla et Gerry Mulligan est particulièrement notable. Pino Presti a participé à 24 enregistrements en tant que musicien de session, dont l'album phare Libertango (1974). Fait significatif, la ligne de basse de la composition mondialement connue Libertango lui est attribuée. Son travail sur l'album Summit (1974), un projet conjoint de Piazzolla et Mulligan, a également été salué. Sa capacité à passer de la musique pop commerciale aux arrangements complexes et exigeants du tango nuevo et du jazz fusion témoigne d'une maîtrise exceptionnelle du rythme, du groove et de la complexité harmonique.
Un autre événement marquant est sa rencontre avec Wilson Pickett au Festival de Sanremo en 1969. Le bassiste de Pickett ayant été bloqué à Londres, Presti a été choisi au pied levé comme remplaçant après que Pickett l'a entendu jouer. Cette rencontre fortuite a conduit Presti à participer à la tournée européenne de Pickett. Cette anecdote illustre sa compétence technique et son adaptabilité à des situations de haute pression.
La naissance du funk italien : "1st Round" (1976)
La carrière de Pino Presti a franchi un nouveau cap en 1976 avec la sortie de son premier album solo, 1st Round, qu'il a produit pour Atlantic Records. Cet album est considéré comme la première production funk-dance en Italie et l'un des albums les plus novateurs des années 1970. Il marque une étape cruciale dans l'évolution de Presti, le faisant passer du statut d'influent musicien de session à celui de visionnaire et de pionnier d'un genre nouveau dans son pays.
L'album comprend des titres devenus emblématiques comme "Funky Bump" et "Smile". L'équipe de musiciens mobilisée pour l'enregistrement illustre la qualité de la production, avec des noms tels que Ellade Bandini à la batterie, Alberto Radius au synthétiseur de guitare et Andrea Sacchi à la guitare électrique.
1st Round n'est pas simplement une collection de chansons, mais un événement séminal qui a posé les fondations du genre funk italien. Ce projet a démontré que Presti n'était pas seulement un interprète hors pair, mais un créateur capable d'anticiper les tendances et de forger une identité sonore nouvelle.
Au cours des décennies suivantes, Pino Presti a continué à explorer sa carrière solo et ses activités de producteur sous divers pseudonymes. Il a sorti une série de singles qui ont marqué les esprits, dont "Shitân Disco Shitân" (1977) et "You Know The Way" (1979), le dernier étant réédité en version 12 pouces en 1980. Il a collaboré avec des labels majeurs comme Polydor, Baby Records, et Barclay, ainsi qu'avec des labels indépendants comme Emergency Records. Son œuvre solo s'est étendue pour inclure des albums plus récents tels que Sharade avec Garden Planet en 2023 et Deep Colors sous le pseudonyme Mad of Jazz en 2014.
L'intérêt durable pour l'œuvre de Pino Presti se manifeste par la réédition de ses succès passés. Des titres comme "Funky Bump", "You Know The Way" et "Disco Shitân" ont été réédités en éditions vinyle spéciales par Best Record Italy, ce qui témoigne de leur attrait continu pour un nouveau public d'auditeurs et de collectionneurs. Ces rééditions, ainsi que des albums remasterisés comme 1st Round en 2024, confirment sa place de figure intemporelle dont la musique continue de résonner.
Le maestro de la télévision
À partir des années 1980, Pino Presti a étendu ses talents au-delà du studio d'enregistrement pour devenir compositeur, arrangeur et chef d'orchestre pour la télévision italienne. Il a notamment travaillé sur des émissions de la chaîne RAI, telles que C'era due volte (1980), à laquelle Peter Tosh a participé en tant qu'invité, et Il Cappello sulle ventitré (1983), qui a accueilli Gino Paoli. Ces projets ont démontré son aptitude à appliquer sa vision musicale à un nouveau média, prouvant que son expertise s'étendait au-delà de la production discographique.
Depuis les années 2000, et après s'être installé en France en 2004, Pino Presti a maintenu une activité créative soutenue. En 2009, il a produit et sorti l'album de compilation A La Costa Sud, regroupant 28 artistes de diverses nationalités de la Côte d'Azur. En 2011, il a composé une bande sonore de cinq heures pour le Grand Heritage Hotel Group, couvrant des genres allant du jazz classique au nu-jazz, à la bossa-nova et à la musique ambiante. Il a également produit l'album hommage Shirley Bunnie Foy (60th Anniversary) en 2013, et a composé la musique pour une campagne publicitaire de la marque italienne Scavolini en 2016. En 2019, il a composé la musique pour le livre-CD audio Eco nel vento de la poétesse italienne Tania Cantone.
Maître de multiples disciplines
L'un des aspects les moins connus, mais les plus révélateurs de la personnalité de Pino Presti, est sa profonde implication dans les arts martiaux. Entre 1967 et 1985, il a pratiqué le karaté Shotokan sous la direction de maîtres japonais renommés tels que Hiroshi Shirai, Taiji Kase et Hidetaka Nishiyama. Cette discipline l'a conduit à obtenir le grade de 5e dan de ceinture noire à Rome en 1987, une distinction reconnue par la WUKO (World Union of Karate-do Organizations).
Cette quête parallèle de l'excellence, à la fois dans la musique et dans les arts martiaux, met en lumière une philosophie personnelle centrée sur la discipline, la maîtrise et la pratique continue. L'engagement méthodique nécessaire pour atteindre le grade de 5e dan, qui exige des décennies de dévouement, se reflète dans la persévérance qu'il a démontrée en tant que musicien. Son parcours, qui l'a mené à maîtriser la basse électrique, à devenir un arrangeur et un chef d'orchestre accompli, et à innover en tant que producteur, est le miroir de son engagement à repousser ses limites, une leçon tirée de la rigueur du karaté.
En fin de compte, l'héritage de Pino Presti est celui d'une figure charnière qui a su faire le pont entre la virtuosité technique et la vision créative. Il a été à la fois un musicien de studio indispensable pour les plus grandes stars de la pop italienne et un collaborateur de choix pour des légendes du jazz et du tango. Sa capacité à se réinventer en passant du rôle d'instrumentiste à celui de directeur musical et de producteur est la marque d'un véritable maestro.3 Son influence est enracinée non pas dans un seul genre, mais dans sa contribution constante à l'évolution du paysage musical italien, tant sur le devant de la scène qu'en coulisses.
Aujourd'hui, l'œuvre de Pino Presti continue de captiver un public de plus en plus large, comme en témoignent les nombreuses rééditions de ses albums et singles en vinyle et sur les plateformes numériques. Son "groove" distinctif, sa virtuosité technique et sa vision audacieuse ont transcendé les décennies, prouvant que la musique de qualité et l'innovation artistique conservent leur pertinence. Pino Presti n'est pas seulement un vestige du passé, mais une force créative intemporelle dont le travail continue de nourrir et d'inspirer, ce qui fait de lui un véritable architecte du groove italien.
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