
Bassiste incontournable de la scène rock rennaise des années 80, Pierre Corneau s’est d’abord fait connaître au sein de Marc Seberg, où son jeu singulier au médiator a marqué l’identité sonore du groupe. Il a ensuite poursuivi son parcours aux côtés de nombreux artistes tels que Dominic Sonic, Complot Brunswick ou encore Frank Darcel, avant de rejoindre ponctuellement Les Nus et de collaborer plus récemment avec KaS Product. Autodidacte devenu musicien confirmé, il incarne une figure discrète mais essentielle de l’histoire du rock français, entre ancrage breton et ouverture aux expériences musicales variées. Et qu’on se le dise haut et fort, il adore AC/DC !
Bonjour Pierre. Je serais tenté de dire que tu as déjà fait une sacré carrière ?
Une carrière ? Ahah Non, j'ai l'impression d'avoir une "histoire" plutôt qu'une carrière. J'ai toujours évolué dans des "niches" et ma trajectoire s'est construite sur une série d'accidents. Le premier tiers de mon histoire, disons les années 80, nous n’avions pas du tout la sensation de « faire carrière ». Sans internet et sans réseaux sociaux, nous n'avions aucun retour, aucune notion de l'impact que nous pouvions avoir sur les gens. J'ai découvert avec surprise, en m'inscrivant sur Facebook pendant le premier confinement, que beaucoup de personnes se souvenaient de notre époque avec le groupe Marc Seberg et avaient été marqués par notre musique. Cela m'a fait tout drôle, car à l'époque, le seul échange qu'on avait avec les gens, c'était à la fin des concerts.
Ton parcours a débuté dans un monde musical très différent de celui d'aujourd'hui. Comment décririez-vous le contraste entre les années 80 et notre époque?
C'était une autre démarche, une autre époque. Les disques étaient physiques, il fallait se déplacer en voiture pour les acheter chez son disquaire, rentrer à la maison et les écouter une ou deux fois. Il fallait un label, une maison de disques, et des gens pour travailler sur le projet. Je me souviens d'une interview de Jean-Eric Perrin, un grand chroniqueur de l'époque qui écrivait pour le magazine Best. Il disait qu'il avait parfois du mal à trouver quarante albums à chroniquer chaque mois. Aujourd'hui, on produit près de 5 000 heures de musique par jour. C'est un tsunami de musique! Le problème, c'est que les nouvelles "pépites" sont entièrement noyées sans un bon système de distribution et de promotion, alors qu'à notre époque, un album durait des années.
Tu dis être devenu bassiste par accident. Qu'est-ce qui a mené à cette transition?
J'étais à la base un jeune guitariste débutant autodidacte, à Nantes, dans un groupe qui s'appelait Private Jokes. Quand Marquis de Sade s'est séparé, Philippe Pascal cherchait un bassiste pour son nouveau projet, Marc Seberg. Je le connaissais et j'étais très intimidé, mais un jour, alors qu'on était avec Pierre Thomas, qui allait devenir le batteur, j'ai lancé sur un coup de tête : « Moi, je peux faire la basse ! ». Philippe m'a regardé, très surpris, et m'a dit : « Tu es sûr que tu es bassiste, toi ? ». En fait, je n'avais jamais touché l'instrument de ma vie. J'ai emprunté le lendemain une Fender Mustang à un ami, Pascal Bénéteau, et j'ai passé les dix jours suivants à relever à l'oreille les lignes de basse des démos du groupe, enregistrées sur une cassette.
Du coup, ton jeu était très singulier sur les premiers albums.
Je jouais de la basse comme un guitariste, au médiator, et je m'inspirais des lignes simples mais percutantes des bassistes post-punk et new wave, comme Peter Hook de Joy Division ou Simon Gallup de The Cure. Je ne connaissais pas les bassistes de jazz-rock comme Jaco Pastorius, et leur style me semblait trop compliqué à l'époque. Le producteur du premier album de Marc Seberg, Steve Hillage, a même cru au début que c'était une guitare qui jouait ces lignes de basse avec du chorus. Il a été étonné par mon "jeu particulier" qui donnait une "couleur particulière" au son du groupe. À l'époque, mon chorus était branché tout le temps, et le producteur m'a demandé si je pouvais le couper. J'ai répondu que non, car je ne pouvais pas jouer de la même manière sans. C’était comme si on me demandait de "sortir à poil dans la rue ».
Après Marc Seberg, qu’est-qui s’est passé ?!
Pendant dix ans, j'ai tout abandonné de l'aspect musical. Mes deux basses, une Fretless Yamaha et une TRB5, sont restées dans le grenier de mes parents sans que j'y touche. Je suis devenu commerçant, gérant d'un magasin de jeux vidéo, où j'étais un vrai "geek". Mon retour à la musique a coïncidé avec la fin de mon contrat, car ils m'ont dit que j'étais trop vieux pour l'image. J'ai repris la basse pour "bosser comme un fou ».
Et comment est né le projet de renaissance de Kas Product ?
Le regretté Spatz est mort en 2019. Mona est venue plus ou moins s'installer à Rennes, et le projet a émergé de faire revivre les albums de Kas Product. Il fallait Mona, évidemment, mais aussi quelqu'un pour faire les machines, ce que Spatz faisait. Après différents essais, ils ont rencontré Thomas Bouetel, qui est notre homme aux machines actuel. Ils ont reprogrammé les chansons pendant le premier confinement, en y ajoutant parfois des sons plus récents et en relisant le répertoire.
Un jour, Mona a dit : "Je voudrais qu'il y ait un bassiste dans le son du nouveau Kas Product". Et c'est là que j'ai été "casté". On m'a fait venir à une répétition et j'ai commencé à jouer. Au début, Mona m'avait dit : "Je veux absolument que tu joues les parties des séquenceurs de Spatz, donc des parties graves extrêmement répétitives". J'ai relevé ça chez moi, mais j'ai rapidement commencé à proposer des choses plus personnelles. Par exemple, sur une ligne de basse qui ne restait que sur une seule note, j'ai commencé à faire des renversements d'accords. J'ai pris ma place petit à petit, en me détachant des anciens enregistrements. C'est facile de s'éloigner du son d'origine, car il n'y a jamais eu de basse sur les disques de Kas Product, j'ai tenu à ne pas écouter les vieux albums pour ne me baser que sur les reprogrammations de Thomas et Mona.
Après avoir fait beaucoup de concerts en jouant le répertoire historique, on a réalisé qu'on avait un nouveau son. On s'est dit : pourquoi pas composer un nouveau répertoire à nous ? Et c'est ce qu'on a fait il y a plus de deux ans. La création des morceaux a été étonnamment rapide. La magie de Mona, c'est que même si tu mets deux accords en boucle, tu lui donnes le micro et il se passe quelque chose, et d'un seul coup, tu as une chanson. Elle a cette capacité, sans connaissance théorique de la musique, de rebondir sur les idées avec sa sensibilité et sa culture musicale.
Après avoir terminé l'album, la question s'est posée : le sort-on en autoproduction ou cherche-t-on un label? Nous avons cherché des labels pendant longtemps, mais c'était très compliqué. On est allé à un salon à Nantes et on est arrivé devant des jeunes de moins de 40 ans qui ne connaissaient pas Kas Product. Ils nous regardaient en disant "Casse quoi?". Ils ne savaient pas qui on était. On a mis deux ans à trouver VeryCords. Les autres labels étaient intéressés par l'histoire du groupe pour rééditer les vieux disques, mais VeryCords nous a dit : "Écoutez, on connaît votre histoire, on connaît le passé, mais on a écouté votre album, on adore et on a envie de travailler dessus". C'est comme ça qu'on a fait le deal.
Qu’est-ce qui fait ton son de basse aujourd’hui ?
J'avoue, j'ai eu beaucoup de mal à réécouter les albums de Marc Seberg. Mon son était souvent "totalement perdu" dans le mix, car il manquait de fréquences médiums agressives. J'ai compris avec le temps que pour me faire entendre, il fallait intégrer un son plus saturé, comme celui d'une Precision qui a une image de fréquence resserrée dans le médium. C'est là que j'ai découvert le préampli Darkglass B7K. Je ne l'utilise pas pour faire de la distorsion extrême comme les mecs de métal, mais pour ajouter ces fréquences qui me permettent de rester audible dans le mix.
Ma basse principale est une Sadowsky Metro 5-cordes, et j'ai un pédalier minimaliste, car je suis adepte de la philosophie d'Anthony Jackson : avoir "un seul son" et de s'y tenir. Ça fait environ 7 ou 8 ans que je l'ai, et je l'utilise pour pratiquement tout, car je la connais par cœur. Il faut savoir que ce n'est pas une Sadowsky de New York, qui coûte très cher, mais une Sadowsky Metro japonaise, fabriquée à la main dans leur atelier de Tokyo. Roger Sadowsky a formé un luthier japonais pendant quelques années dans son atelier de Brooklyn, puis ce dernier est retourné à Tokyo pour créer cette gamme, qui est moitié prix. Ces modèles sont très recherchés parce qu'ils ne sont plus produits aujourd'hui. Quand je me suis renseigné, j'ai même écrit directement à Roger Sadowsky pour lui demander si les versions japonaises avaient bien les deux renforts en carbone dans le manche, comme les modèles new-yorkais. Il m'a confirmé que c'était le même manche, ce qui la rend extrêmement stable et permet d'avoir un réglage optimal qui ne bouge presque pas.
D'ailleurs, pour l’anecdote de cette constance de mon son, la veille de l'enregistrement de l'album de Kas Product, je souhaitais garder mon son habituel avec des cordes neuves et lorsque j’ai voulu les changer, j’avais deux jeux de cordes neufs défectueux. J'ai dû utiliser de vieilles cordes bouillies et rincées. Finalement, le son plus mat de ces vieilles cordes a peut-être paradoxalement mieux servi le mix final.
Un mot pour les jeunes musiciens qui voudraient se lancer?
Travaillez votre rigueur rythmique. Le rôle du bassiste est d'être la "colonne vertébrale" d'une chanson. Une seule note bien placée, au bon moment, a plus de valeur qu'un passage techniquement complexe mais mal cadencé. Je leur conseille aussi, même s'ils sont autodidactes, de se pencher sur la théorie musicale de base. Apprendre le nom des notes, la composition des accords et les modes a été une révélation pour moi et m'a "totalement débloqué", car je tournais en rond avant. Fuyez les "guéguerres stupides" sur les réseaux sociaux concernant le nombre de cordes ou l'utilisation du médiator. Concentrez-vous sur la musique plutôt que sur la prouesse technique pour elle-même. Il faut se rappeler que même un bassiste qui joue sur deux cordes, comme le bassiste de Morphine, peut faire de la musique sensationnelle.
Pour conclure, est-ce qu’il y a de l’actu pour les mois à venir ?
Absolument ! Je repars avec Kas Product pour une série de concerts à partir de septembre et dans un autre registre… J’avoue… Je suis très heureux d’avoir apporté mon humble contribution au futur album des Martin Dupont « You smile when it hurts » qui devrait sortir le 17 octobre prochain.
Photos Droits réservés
Ajouter un commentaire
Commentaires