Billy Rath, le bassiste au coeur brisé...

Publié le 18 août 2025 à 12:23

Au-delà du mythe punk

Souvent relégué au second plan derrière l'aura de destruction romantique de Johnny Thunders, le bassiste Billy Rath demeure une figure centrale, mais méconnue, du panthéon du punk rock new-yorkais. Pour les non-initiés, il n'était que le remplaçant de Richard Hell au sein de Johnny Thunders and The Heartbreakers. Pour ceux qui s'intéressent de près à l'histoire du rock, il était le pilier du son stable et puissant qui a permis au groupe de délivrer son unique et légendaire album studio, L.A.M.F.. Son histoire, toutefois, est bien plus complexe que le simple récit d'une étoile filante du rock. C'est l'histoire d'une vie en trois actes : l'artiste qui a forgé un son, l'homme qui a trouvé la rédemption loin de la scène, et le musicien qui est revenu pour un dernier acte créatif.

Pour quiconque souhaite explorer le parcours de cet homme, une clarification s'impose dès le départ. Les informations disponibles en ligne sur un individu nommé Billy Rath peuvent prêter à confusion. Les archives publiques et les notices nécrologiques mentionnent plusieurs personnes portant ce nom, dont un artiste numérique né en 1959 , un ingénieur canadien décédé en 2006, et un vétéran texan disparu en 2022. Le bassiste de Johnny Thunders and The Heartbreakers, quant à lui, est décédé le 16 août 2014 des suites d'un cancer de la gorge. Cet article se concentre exclusivement sur le musicien, en traçant la ligne de vie unique d'un artiste qui a su transcender la réputation sulfureuse de son groupe pour forger un héritage personnel aussi marquant que sa contribution musicale.

Les Racines du Rock de la Rue

La trajectoire de Billy Rath commence bien avant sa rencontre avec Johnny Thunders. Sa passion pour la basse remonte à l'enfance, où il a commencé à jouer de l'accordéon dès l'âge de 12 ans, ce qui le plaça officiellement dans le monde de la musique rémunérée dès la cinquième année scolaire. Cependant, c'est la basse qui est rapidement devenue sa véritable identité. Loin d'être un guitariste frustré qui se serait rabattu sur un instrument moins en vue, Rath se considérait d'abord et avant tout comme un bassiste. Dans une interview, il a exprimé cet attachement avec une ferveur presque romantique : « La basse est mon amour, ma maîtresse, et mon battement de cœur! ». Cette conviction profonde en sa vocation, loin des projecteurs, est une caractéristique essentielle de son approche musicale.

Avant de rejoindre les Heartbreakers, Rath a affûté son style dans les clubs de Boston avec son premier groupe, Dazzle. Les sources décrivent Dazzle comme « l'équivalent de Boston des New York Dolls », ce qui place Billy Rath directement dans la lignée du glam et du proto-punk new-yorkais. Cette ascendance est fondamentale pour comprendre sa vision artistique. En effet, bien qu'il soit devenu célèbre au sein de la scène punk, Rath s'identifiait au terme de « street rock ». Cette distinction n'était pas un simple caprice. Elle révélait une divergence de philosophie profonde. Alors que le punk était souvent associé à l'idéologie de l'anarchie et à des « fight songs », Rath insistait sur le fait que les Heartbreakers étaient un « rock 'n' roll band » qui écrivait des « love songs ». Sa musique visait à capturer l'énergie brute et l'émotion du rock des années 50, enracinée dans l'authenticité de la vie urbaine, plutôt que d'embrasser une posture politique ou de révolte sociale. Cette nuance thématique et musicale marque une prédisposition à servir la musique et le groupe avant de chercher la confrontation idéologique. C'est cette même prédisposition qui allait faire de lui la pièce maîtresse du son des Heartbreakers.

La Pièce Manquante des Heartbreakers

Au moment de son arrivée en 1976, Johnny Thunders and The Heartbreakers étaient au bord de l'implosion. Le bassiste et parolier original, Richard Hell, un poète à l'approche musicale unique, était en conflit constant avec le reste du groupe. Ces tensions, liées à des divergences artistiques, ont conduit à son départ, laissant un vide sonore et créatif. C'est dans ce contexte tumultueux que Billy Rath, un musicien de Boston, a fait son entrée. Son recrutement n'était pas un simple remplacement, mais une véritable refondation du groupe.

Rath s'est rapidement imposé comme le chaînon manquant. Dans une interview, il a affirmé qu'à son avis, « il complétait le groupe » et que la « tension avait disparu et la magie avait commencé ». Le fait que Rath ait été un bassiste pur, "content de jouer un rôle de soutien sans chercher les feux de la rampe", a créé une dynamique qui n'existait pas avec Richard Hell. L'analyse musicale confirme que Rath a apporté au groupe une solidité rythmique et une structure sonore qui manquaient auparavant. Son jeu s'est harmonisé de manière "formidable" avec la batterie de Jerry Nolan, ancrant le groupe dans un son robuste, inspiré par le rock 'n' roll des années 50 et le rhythm and blues, tout en y injectant l'énergie et le volume du punk.

C'est avec cette nouvelle formation que le groupe a enregistré son unique album studio, le légendaire L.A.M.F. en 1977. Bien que le mixage de l'album soit resté un sujet de débat, l'enregistrement est devenu une œuvre culte, un témoignage brut et authentique du son unique des Heartbreakers. La participation de Rath à la tristement célèbre tournée "Anarchy Tour" avec les Sex Pistols en 1976 et ses tournées ultérieures avec d'autres figures de la scène comme Iggy Pop ont solidifié sa place dans l'histoire du rock. Cependant, la célébrité n'était pas synonyme de stabilité. L'énergie créative du groupe était souvent éclipsée par le « poison » qui le rongeait. La drogue, et plus particulièrement l'héroïne, a fini par provoquer la dissolution progressive du groupe après 1979, malgré des réunions sporadiques jusqu'en 1985.

La Rédemption : L'Homme après la Légende

Après les dernières réunions des Heartbreakers en 1985, Billy Rath a disparu de la scène musicale pendant plus de deux décennies. Cette période de sa vie est aussi remarquable, voire plus, que sa carrière de rock star. Confronté aux ravages de la toxicomanie, il a choisi un chemin radical de rédemption et de transformation personnelle. Il a décidé de se prendre en main et est devenu une personne « propre et sobre ».

Loin de l'agitation des tournées et des drogues, Billy Rath a entrepris une quête de connaissance et de spiritualité. Il a poursuivi ses études supérieures, obtenant un Bachelor of Arts (BA) et un Master, et s'est spécialisé dans les domaines de la psychologie et de la théologie. Il a même suivi des cours à Berkeley et travaillait sur son doctorat. Le fait qu'un bassiste de rock connu pour son rôle dans un groupe tumultueux et toxique se soit tourné vers ces disciplines est un témoignage de son engagement profond à comprendre les forces qui l'ont autrefois consumé.

Plus que de simples études, il a mis ses nouvelles compétences au service des autres. Après avoir déclaré avoir rencontré le Saint-Esprit, il est devenu ministre baptiste pendant une douzaine d'années. Il a également travaillé comme conseiller en toxicomanie, utilisant sa propre expérience pour aider d'autres personnes à surmonter les mêmes démons qui l'avaient conduit au bord du gouffre. Ce contraste entre sa vie de rock star et celle de ministre et conseiller n'est pas une simple curiosité, mais le cœur même de son héritage personnel. Il a su transformer sa propre souffrance en une source de force et de compassion pour les autres.

Le Dernier Acte : Retour et Départ

Après une si longue absence, le retour de Billy Rath sur la scène musicale a été une surprise pour beaucoup. Encouragé par son fils et une réunion de Max's Kansas City en 2010, il a retrouvé sa passion et a formé un nouveau groupe, Billy Rath's Street Pirates. Le nom de ce groupe était un clin d'œil évident à son identité de « street rock » et à son désir de retourner à l'essence de la musique qu'il aimait. Il a continué de jouer et d'enregistrer avec cette nouvelle formation jusqu'à ce que des problèmes de santé l'obligent à s'arrêter.

Les derniers mois de sa vie sont documentés par les témoignages poignants de son ami et compagnon de groupe, John Daily. Il a raconté comment Rath a commencé à avoir une voix très enrouée, ce qui a finalement conduit à un diagnostic dévastateur : un cancer de la gorge de stade 4. Le musicien, affaibli et pesant à peine 40Kg, s'est vu proposer une intervention chirurgicale et une chimiothérapie. Cependant, dans un dernier acte de courage et de contrôle sur sa propre vie, il a refusé le traitement. John Daily se souvient d'une anecdote touchante à l'hôpital, où il a dit à une infirmière : « Avez-vous déjà entendu parler de Johnny Thunders and The Heartbreakers? Oui. Eh bien, c'est le bassiste. Cet homme est une rock star ». Billy Rath est décédé le 16 août 2014, chez lui à Boston, des suites de sa maladie.

Un Héritage d'Âme et de Son

La vie de Billy Rath a été une symphonie de contrastes, naviguant entre le chaos des Heartbreakers et le calme de la rédemption, entre la célébrité de la scène et l'anonymat d'une vie de service. Il est passé d'une existence tumultueuse sur les routes à celle de ministre et conseiller, avant de revenir à sa passion originelle pour un dernier acte créatif. Son héritage est double et indissociable. Musicalement, il était l'ancrage, le battement de cœur qui a permis au son du groupe d'atteindre sa pleine puissance. Il a contribué à un son qui, malgré le temps, ne meurt pas. Personnellement, son parcours de réhabilitation et son travail auprès de ceux qui souffrent d'addiction témoignent d'une force de caractère rare et inspirante.

Les hommages qui lui ont été rendus soulignent cette dualité. Des fans et des pairs ont salué son talent de bassiste, soulignant à quel point il était sous-estimé et essentiel à la dynamique du groupe. La mort de Rath, suivie de celle du guitariste Walter Lure en 2020, a laissé le monde du rock orphelin de son son unique. La vie de Billy Rath se résume peut-être le mieux dans les mots de son ami John Daily, qui a dit : « La manière dont il a vécu, c'était de manière créative ». Que ce soit avec sa basse sur scène, dans son travail de conseiller ou dans sa quête spirituelle, Billy Rath n'a jamais cessé de créer, forgeant un héritage durable qui va bien au-delà des quelques années passées sous les projecteurs.

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