
Doug Wimbish est un nom synonyme de groove sismique, d'innovation sonore et d'une polyvalence musicale à toute épreuve. Depuis ses débuts en tant que pilier rythmique du label pionnier du hip-hop Sugar Hill Records jusqu'à son rôle de bassiste au sein du groupe de rock alternatif Living Colour, en passant par une myriade de collaborations prestigieuses, Wimbish a marqué de son empreinte indélébile le paysage musical des dernières décennies. Plus qu'un simple bassiste, il est un véritable sculpteur de son, un expérimentateur audacieux qui a redéfini le rôle de la basse dans de nombreux genres.
Les Racines d'un Géant du Groove (Né en 1956)
Né le 22 septembre 1956 à Hartford, dans le Connecticut, Douglas Arthur Wimbish grandit dans un environnement familial où la musique occupe une place centrale. Son père était musicien et sa mère chanteuse de gospel, lui offrant ainsi une immersion précoce dans divers styles musicaux, du R&B à la soul, en passant par le jazz et le gospel. Cette exposition à une riche palette sonore forgera sa future ouverture d'esprit et sa capacité à naviguer avec aisance entre les genres.
Il commence la guitare à l'âge de 12 ans avant de se tourner vers la basse deux ans plus tard, un instrument qui lui permet de canaliser son sens inné du rythme et sa fascination pour les fondations harmoniques et rythmiques de la musique. Ses premières influences incluent des bassistes légendaires tels que James Jamerson, Larry Graham (pour son approche percussive du slap), Bootsy Collins (pour son exubérance et son utilisation des effets), et Paul McCartney (pour son sens mélodique). Il développe rapidement une technique solide et une oreille affûtée, se produisant dans des groupes locaux dès son adolescence.
L'École du Rythme : Sugar Hill Records et la Naissance du Hip-Hop
À la fin des années 1970, Doug Wimbish, aux côtés du guitariste Skip "Little Axe" McDonald et du batteur Keith LeBlanc, forme un trio rythmique redoutable. En 1979, ce trio devient la section rythmique maison du label Sugar Hill Records, fondé par Sylvia Robinson. Cette période est cruciale et fondatrice pour Wimbish. Sugar Hill Records est à l'épicentre de la naissance du hip-hop commercial, et Wimbish, LeBlanc et McDonald (souvent rejoints par le percussionniste Ed Fletcher, alias "Grandmaster Flash's Furious Five") deviennent les architectes sonores de certains des morceaux les plus emblématiques de cette époque.
Ils enregistrent pour des artistes comme Grandmaster Flash and the Furious Five ("The Message", "White Lines (Don't Don't Do It)"), The Sugarhill Gang ("Rapper's Delight", bien que la ligne de basse originale ait été jouée par Chip Shearin, Wimbish a contribué à d'autres titres du groupe et à l'esthétique sonore du label), Funky Four Plus One, et bien d'autres. Le travail de Wimbish à Sugar Hill se caractérise par des lignes de basse profondes, incroyablement groovy, et souvent mélodiques, qui ancrent solidement les morceaux tout en leur insufflant une énergie communicative. Il apprend à travailler vite, à être créatif sous pression, et à comprendre l'importance du son et de la production dans la musique populaire. Cette expérience lui permet également de commencer à expérimenter avec les effets, une passion qui deviendra une de ses signatures.
Tackhead et l'Exploration Sonore Industrielle
Après leur départ de Sugar Hill Records au milieu des années 1980, Wimbish, McDonald et LeBlanc, rejoints par le producteur de dub britannique Adrian Sherwood, forment le collectif Tackhead (parfois aussi connu sous les noms Fats Comet ou Strange Parcels). Ce projet marque une rupture radicale avec le son de Sugar Hill et plonge le trio dans des expérimentations sonores beaucoup plus audacieuses et industrielles.
Tackhead fusionne le funk, le dub, le hip-hop, le rock industriel et la musique électronique, créant un son unique, abrasif et politiquement engagé. Adrian Sherwood, avec son approche innovante de la production et son utilisation intensive des effets de studio comme instruments à part entière, encourage Wimbish à pousser encore plus loin ses explorations sonores. C'est au sein de Tackhead que Doug Wimbish développe véritablement son style distinctif, intégrant une large gamme d'effets (pédales d'octave, filtres, delays, distorsions, harmoniseurs) directement dans son jeu, transformant sa basse en une source sonore quasi orchestrale. Ses lignes de basse deviennent des textures complexes, des paysages sonores en constante évolution, tout en conservant un groove implacable. Tackhead acquiert un statut culte, particulièrement en Europe, et influence de nombreux artistes de la scène alternative et électronique.
Living Colour : La Reconnaissance Mondiale et l'Apogée du Groove Rock
En 1992, Doug Wimbish rejoint le groupe de rock new-yorkais Living Colour, en remplacement de Muzz Skillings. Living Colour, déjà acclamé pour sa fusion unique de hard rock, de funk, de jazz et de thématiques sociales, trouve en Wimbish le bassiste idéal pour propulser sa musique vers de nouveaux sommets. Son arrivée coïncide avec l'enregistrement de l'album "Stain" (1993).
Avec Living Colour, Wimbish apporte non seulement son groove phénoménal et sa technique impeccable, mais aussi son arsenal d'effets et son approche créative du son. Sa basse devient un élément central de l'identité sonore du groupe, capable de délivrer des riffs puissants, des lignes mélodiques complexes, et des ambiances sonores atmosphériques. Des morceaux comme "Leave It Alone", "Ausländer" ou "Nothingness" sur l'album "Stain" témoignent de sa contribution majeure.
Il participe aux tournées mondiales du groupe et enregistre plusieurs albums avec eux, dont "Collideøscope" (2003) et "The Chair in the Doorway" (2009), après la reformation du groupe en 2000. Living Colour offre à Doug Wimbish une plateforme de reconnaissance internationale et lui permet de démontrer l'étendue de son talent à un public plus large. Son énergie sur scène est légendaire, combinant une présence charismatique avec une virtuosité discrète mais toujours au service de la chanson.
Un Collaborateur Infatigable et Éclectique
Parallèlement à ses engagements avec Tackhead et Living Colour, Doug Wimbish a maintenu une carrière de musicien de session et de collaborateur extrêmement prolifique et diversifiée. La liste des artistes avec lesquels il a travaillé est vertigineuse et témoigne de son incroyable polyvalence :
- Rock & Pop : The Rolling Stones (notamment sur l'album "Bridges to Babylon"), Mick Jagger (sur son album solo "Primitive Cool"), Jeff Beck, Joe Satriani, Annie Lennox, Seal, Madonna, George Clinton, James Brown, Depeche Mode, Mos Def, Peter Wolf.
- Jazz & Fusion : Herbie Hancock, Michael Brecker, John Scofield, Bill Laswell (avec qui il a collaboré sur de nombreux projets exploratoires).
- Musiques du Monde & Électronique : Des artistes africains, des producteurs de musique électronique, et bien d'autres.
Cette capacité à s'immerger dans des univers musicaux aussi variés, tout en conservant sa personnalité sonore, est l'une des grandes forces de Doug Wimbish. Il est respecté pour son professionnalisme, sa créativité et sa capacité à apporter une valeur ajoutée unique à chaque projet.
Solo et Projets Personnels
Doug Wimbish a également exploré sa propre musique à travers des albums solo. "Trippy Notes for Bass" (1999) et "CinemaSonics" (2008) (sous le nom de WimBash) sont des vitrines de son univers sonore, où il mélange librement funk, rock, jazz, ambient, et expérimentations électroniques. Ces albums mettent en lumière son talent de compositeur et d'arrangeur, ainsi que sa maîtrise des textures et des ambiances.
Il a également initié le projet "WimBash Music Festival", un événement qui vise à promouvoir la musique, l'éducation musicale et à offrir une plateforme à de jeunes talents.
Le Son Wimbish : Technique et Technologie
Le style de Doug Wimbish est reconnaissable entre mille. Il se caractérise par :
- Un Groove Profond et Précis : Qu'il joue des lignes simples et efficaces ou des motifs plus complexes, son sens du placement rythmique est impeccable. Son groove est organique, puissant et incroyablement dansant.
- Une Utilisation Magistrale des Effets : Wimbish est un pionnier dans l'intégration des effets comme partie intégrante de son jeu de basse. Il utilise une large palette de pédales (souvent de la marque Eventide, pour qui il a développé des presets, mais aussi des classiques comme des filtres d'enveloppe, des octavers, des delays, des fuzz, etc.) pour sculpter son son en temps réel. Il ne s'agit pas d'un simple ajout cosmétique, mais d'une véritable extension de son expression musicale.
- Une Technique Polyvalente : Il maîtrise aussi bien le jeu aux doigts traditionnel que le slap (bien que moins proéminent dans son style que chez d'autres bassistes funk), le médiator, et diverses techniques percussives.
- Un Sens Mélodique Subtil : Bien que souvent axé sur le rythme et la texture, ses lignes de basse peuvent également être très mélodiques et contribuer de manière significative à l'harmonie des morceaux.
Concernant son matériel, Doug Wimbish est depuis longtemps associé aux basses Spector, notamment ses modèles signature. Ces instruments, connus pour leur ergonomie, leur sustain et leur son puissant, conviennent parfaitement à son style de jeu. Il est également un utilisateur averti des amplificateurs et des systèmes de sonorisation, cherchant constamment à optimiser la diffusion de son large spectre sonore.
Héritage et Influence
L'impact de Doug Wimbish sur le monde de la basse est considérable. Il a démontré que le bassiste peut être bien plus qu'un simple accompagnateur, mais un véritable innovateur sonore et un moteur créatif au sein d'un groupe ou d'un projet. Son travail à Sugar Hill a contribué à définir le son du hip-hop naissant. Ses expérimentations avec Tackhead ont ouvert la voie à de nouvelles fusions entre genres. Son rôle dans Living Colour a prouvé que la basse pouvait être à la fois incroyablement groovy et audacieusement expérimentale dans un contexte rock.
Il a influencé d'innombrables bassistes par son approche du son, son utilisation des effets, et son engagement total envers la musique. Il est également respecté pour son attitude positive, son humilité et sa volonté de partager ses connaissances, notamment à travers des cliniques et des ateliers.
Toujours aussi actif et passionné, Doug Wimbish continue de tourner avec Living Colour et Tackhead, de collaborer avec divers artistes, de produire de la musique et de s'impliquer dans des projets éducatifs. Il reste une force créative majeure, constamment à la recherche de nouveaux sons et de nouvelles façons de s'exprimer à travers sa basse. Son énergie sur scène et son dévouement à son art sont une source d'inspiration continue.
Il est une figure essentielle de l'histoire moderne de la basse électrique. Son parcours unique, de l'ombre des studios de Sugar Hill à la lumière des scènes internationales avec Living Colour, en passant par les expérimentations radicales de Tackhead, témoigne d'un musicien sans œillères, animé par une curiosité insatiable et un groove infaillible. Il est le "sorcier sonore" qui a su marier la tradition du funk et du R&B avec les technologies modernes et une vision avant-gardiste.
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