
Pendant des décennies, l'univers de la basse électrique a été régi par une loi tacite : le diapason court était le domaine des débutants, des musiciens aux petites mains ou des instruments de niche au son jugé trop rond, manquant de sustain et de définition dans les graves. Ces basses, bien que confortables, étaient souvent perçues comme un compromis, un sacrifice de la puissance sonore sur l'autel de l'ergonomie. Puis, Music Man est entré en scène avec une proposition audacieuse : la Stingray Short Scale. Cet instrument ne se contente pas de s'inscrire dans la tendance actuelle de regain d'intérêt pour les diapasons courts ; il la dynamite en promettant le meilleur des deux mondes.
La thèse est simple mais révolutionnaire : encapsuler l'âme agressive, le "growl" légendaire et le punch percussif de l'iconique Stingray dans un format compact de 30 pouces. Les retours d'utilisateurs parlent d'eux-mêmes, évoquant un son massif et puissant, un "big thumpy round sound" qui semble défier les lois de la physique pour un instrument de cette taille. Loin d'être un compromis, la Stingray Short Scale se positionne comme un choix délibéré, un instrument professionnel à part entière qui s'adresse non plus seulement à ceux qui ont besoin d'un diapason court, mais à tous ceux qui en désirent le confort et la sonorité unique, sans sacrifier la puissance.
Pour comprendre la portée de la Stingray Short Scale, un retour en 1976 s'impose. C'est à cette date que la Music Man Stingray originale, co-conçue par le visionnaire Leo Fender, a fait son apparition, changeant à jamais le paysage de la basse électrique. Son innovation majeure, qui a défini son identité sonore, était d'être l'une des toutes premières basses de série à intégrer une égalisation active. Ce préampli embarqué lui conférait un son brillant, percutant et une agressivité inédite qui ont immédiatement séduit les pionniers du funk et du disco comme Louis Johnson ou Bernard Edwards de Chic.
C'est pourquoi la décision de Music Man, lors de la présentation de la version Short Scale au NAMM 2019, de la doter d'une électronique entièrement passive a surpris plus d'un observateur. Ce choix, qui semble à première vue un reniement de l'ADN historique de la Stingray, est en réalité une décision d'ingénierie sonore d'une grande finesse. Le raisonnement est le suivant : les basses à diapason court produisent naturellement un son plus chaud et plus rond, avec une attaque plus douce et moins d'harmoniques dans les hautes fréquences en raison de la tension plus faible des cordes. Associer cette caractéristique physique à l'électronique active traditionnelle de la Stingray, connue pour son "zing" et ses aigus tranchants, aurait pu résulter en un son déséquilibré, voire criard.
En optant pour un système passif, les ingénieurs de Music Man ont laissé le diapason court exprimer sa chaleur naturelle. Mais pour ne rien perdre du punch légendaire de la Stingray, ils ont suralimenté le circuit avec un micro humbucker équipé de puissants aimants en néodyme. Cette technologie moderne offre un niveau de sortie très élevé pour un micro passif, conservant ainsi la puissance et l'attaque tout en bénéficiant de la rondeur du format compact. Il ne s'agit donc pas d'une simplification, mais d'une réinterprétation, d'une nouvelle synergie entre lutherie et électronique pour créer un son qui est à la fois authentiquement Stingray et parfaitement optimisé pour le diapason court.
L'excellence de la Stingray Short Scale ne réside pas seulement dans son concept, mais aussi dans la qualité de ses composants, qui diffèrent entre le modèle haut de gamme Ernie Ball Music Man (EBMM) fabriqué aux États-Unis et sa déclinaison plus accessible, la Sterling by Music Man (SBMM).
Le corps du modèle EBMM est en frêne (Ash), un bois dense traditionnellement associé au son claquant et brillant de la Stingray, tandis que la version Sterling utilise du Nyatoh, une alternative plus économique. Le manche est une pièce maîtresse sur les deux versions : il est en érable torréfié ("Roasted Maple"), une caractéristique très appréciée pour sa grande stabilité et son toucher incroyablement doux et rapide, que de nombreux utilisateurs qualifient de "soyeux". Avec une largeur confortable de 1.5 pouce (38.1 mm) au sillet et une fixation robuste à 6 vis, il inspire confiance et confort. La touche est disponible en érable ou en palissandre selon les finitions. Un détail premium distingue le modèle américain : ses 22 frettes sont en acier inoxydable, garantissant une durabilité et une sensation de jeu exceptionnelles pour des années.
Le chevalet est le modèle classique Music Man "top loaded", assurant un excellent transfert des vibrations. Le modèle EBMM est équipé de mécaniques légères custom qui contribuent au parfait équilibre de l'instrument, un point non négligeable sur un diapason court. Le cœur de la bête est son unique micro humbucker passif, spécialement conçu pour ce modèle et doté de puissants aimants en néodyme. L'électronique est simple mais redoutablement efficace : un potentiomètre de volume (qui intègre un boost "push-push"), une tonalité passive, et un sélecteur rotatif à 3 positions qui décuple les possibilités sonores de l'instrument.
L'idée d'une Stingray passive à un seul micro pourrait faire craindre un manque de polyvalence. C'est pourtant tout le contraire. La combinaison du micro à aimants néodyme et du sélecteur rotatif intelligent offre une palette de sons étonnamment large et exploitable.
Les aimants en néodyme sont connus pour leur champ magnétique très puissant. Sur un micro passif, cela se traduit par un niveau de sortie élevé, une grande clarté et une réponse dynamique exceptionnelle, évitant le son parfois jugé "terne" ou "mou" de certains circuits passifs. C'est cette technologie qui permet à la basse de conserver le "growl" et le punch qui sont la signature de la marque, même sans préampli actif.
Les 3 modes du sélecteur
Le sélecteur rotatif à 3 positions est la clé de la polyvalence de l'instrument :
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Position 1 (Parallèle) : C'est le son Stingray par excellence. Les deux bobines du humbucker sont câblées en parallèle, produisant un son équilibré, très percussif, avec des médiums clairs qui percent le mix et des basses tendues et définies. C'est la position idéale pour le slap, le funk et toutes les musiques où la basse doit être à la fois rythmique et articulée.
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Position 2 (Simple Bobinage - True Single-Coil) : Dans ce mode, une seule des deux bobines est active. Le son devient plus fin, plus aéré, avec un niveau de sortie légèrement inférieur. Il acquiert un caractère plus vintage, rappelant une Jazz Bass en position chevalet, mais avec le grain unique du micro Music Man. Cette position est parfaite pour des lignes de basse plus mélodiques, le R&B ou le jazz.
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Position 3 (Série) : C'est le mode "turbo". Les deux bobines sont câblées en série, ce qui augmente significativement le niveau de sortie et renforce les bas-médiums. Le son est plus épais, plus gras, presque hargneux. Un utilisateur note un "joli boost de volume" dans ce mode, idéal pour le rock, le jeu au médiator ou pour pousser un ampli à lampe dans ses retranchements.
En plus du sélecteur, le potentiomètre de volume dissimule une fonction "push-push" qui active un boost de volume passif. Il ne s'agit pas d'un circuit actif, mais plus probablement d'un bypass de certains composants qui libère tout le potentiel du micro, offrant un gain de décibels très pratique pour un solo ou pour simplement ressortir du mix le temps d'un passage clé.
Cette conception électronique intelligente transforme ce qui pourrait être une limitation (un seul micro) en une force. La Stingray Short Scale offre trois voix distinctes et musicales, couvrant un spectre sonore qui nécessiterait normalement plusieurs micros, ce qui en fait un instrument bien plus polyvalent que son apparence ne le laisse supposer.
L'Expérience de Jeu "Sans Compromis"
Au-delà du son, c'est l'expérience de jeu qui séduit unanimement les utilisateurs. La Stingray Short Scale est décrite comme un instrument dont l'ergonomie et le confort stimulent la créativité.
La réduction du diapason de 34 à 30 pouces a des conséquences directes et bénéfiques sur la jouabilité. La tension des cordes est moindre, ce qui rend les bends et les vibratos plus faciles à exécuter et donne une sensation de souplesse sous les doigts. L'espacement réduit entre les frettes permet une navigation plus rapide sur le manche, facilite les grands écarts et diminue considérablement la fatigue de la main gauche lors de longues sessions de jeu ou de concerts. C'est un avantage indéniable non seulement pour les bassistes aux petites mains ou les guitaristes en transition, mais pour tout musicien en quête d'un confort de jeu optimal.
L'instrument est également salué pour sa légèreté, un atout majeur pour les performances scéniques qui soulage le dos et les épaules. Les contours du corps, fidèles au design de la Stingray, épousent la forme du corps du musicien et offrent un confort supérieur à celui des basses dites "slab" (sans chanfreins), comme certaines de ses concurrentes directes. L'équilibre général de l'instrument est excellent, notamment sur le modèle EBMM avec ses mécaniques allégées, évitant le problème de la "tête qui pique".
Un thème revient constamment dans les avis : le "Fun Factor". Les musiciens rapportent que la basse est tout simplement "fun" et "inspirante" à jouer. Cette dimension plaisir, bien que subjective, est le signe d'un design réussi où l'ergonomie, le son et l'esthétique se combinent pour créer un instrument auquel on a envie de revenir sans cesse.
Le marché des basses short scale de qualité n'a jamais été aussi dynamique. Pour bien situer la Stingray, il est essentiel de la comparer à deux autres icônes du format compact : la Fender Mustang PJ et la Gibson SG Bass.
Stingray SS vs. Fender Mustang PJ Bass
C'est le duel de la modernité contre la polyvalence classique. La Stingray offre un son unique et puissant, centré sur le punch des médiums de son humbucker, décrit comme "bien meilleur" et plus "ballsy" que celui d'une Mustang d'entrée de gamme. La Fender Mustang, avec sa configuration de micros P/J (un micro de Precision Bass et un de Jazz Bass), répond avec une polyvalence sonore exceptionnelle, offrant deux des sons les plus classiques de l'histoire de la basse dans un seul instrument. En termes de confort, la Stingray marque des points avec ses contours de corps ergonomiques, là où la Mustang présente un corps "slab" (plat) qui peut s'avérer moins confortable pour certains. Le choix se résume donc souvent à une préférence sonore : le punch moderne et agressif de la Stingray ou la palette de sons vintage et éprouvés de la Mustang.
Stingray SS vs. Gibson SG Bass
Ici, l'opposition est encore plus marquée. La Stingray, avec sa clarté et son agressivité contrôlée, fait face au son fondamental, sombre, et parfois qualifié de "boueux" ("muddy") de la Gibson SG. La SG excelle dans un registre rock vintage avec un son très typé et puissant dans les graves, mais manque de la polyvalence et de la définition de la Music Man. La différence la plus flagrante se situe au niveau de l'ergonomie. Alors que la Stingray est un modèle d'équilibre, la SG est tristement célèbre pour son déséquilibre chronique (le "neck dive"), où la tête a tendance à piquer vers le sol, un défaut de conception qui peut être rédhibitoire pour de nombreux bassistes. La Stingray s'impose donc comme un choix beaucoup plus moderne, confortable et polyvalent.
EBMM (USA) vs. Sterling by Music Man (Import)
Une fois le modèle Stingray Short Scale choisi, une question cruciale se pose : faut-il investir dans la version américaine EBMM ou opter pour la très accessible Sterling by Music Man ?
La différence est ici palpable. Le modèle EBMM est unanimement décrit comme une pièce de lutherie d'exception, avec une finition "parfaite" et un manche "à tomber" qui justifient son statut d'instrument haut de gamme. La Sterling, bien qu'offrant une construction solide pour son prix, est sujette à des critiques récurrentes concernant son contrôle qualité. Des utilisateurs rapportent des problèmes tels que des bords de frettes qui accrochent ("fret sprout"), une finition de manche rugueuse, ou des potentiomètres qui semblent lâches ("wobbly knobs") dès la sortie de l'usine. Bien que ces défauts soient souvent corrigeables, ils témoignent d'une différence de standard de production.
C'est sur ce point que le débat fait rage. Le consensus est que la Sterling se rapproche de manière stupéfiante du son de sa grande sœur américaine. Des tests à l'aveugle ont même montré qu'il est très difficile, voire impossible, de les différencier à l'oreille. L'EBMM est parfois décrite comme sonnant "marginalement mieux", avec une subtile plus-value en termes de clarté, de résonance ou de richesse harmonique, probablement due à la sélection supérieure des bois et à un assemblage plus méticuleux.
La Sterling by Music Man offre un accès incroyablement abordable au son, à l'ergonomie et au design de la Stingray Short Scale. Pour de nombreux musiciens, la différence de prix colossale avec le modèle américain n'est pas justifiée par l'écart de performance sonore, qui est minime. Le choix n'est donc pas une simple question de "bon" contre "mauvais". Il s'agit d'une décision qui dépend des priorités du musicien. L'EBMM s'adresse à ceux qui recherchent la perfection tactile, une expérience de jeu luxueuse et un objet sans le moindre défaut. La Sterling, quant à elle, est le choix pragmatique pour ceux dont la priorité absolue est la performance sonore, offrant 95% du son pour une fraction du prix. La stratégie de Music Man est ainsi de proposer non pas un instrument de luxe et sa copie, mais un "graal" pour les connaisseurs et un "cheval de bataille" redoutablement efficace pour le plus grand nombre.
La Music Man Stingray Short Scale est une réussite incontestable. Elle prouve avec brio qu'un diapason court n'est plus synonyme de compromis, mais peut être la source d'un instrument professionnel, puissant et polyvalent. Qu'il s'agisse de la prestigieuse version EBMM ou de l'exceptionnelle Sterling, elle s'est imposée comme un choix incontournable pour tout bassiste à la recherche d'un titan au format compact.
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