Né à Swansea, au Pays de Galles, le 16 décembre 1961, Laurence Cottle a un parcours initial qui témoigne d'une musicalité précoce et d'une soif d'exploration instrumentale. Contrairement à ceux qui commencent directement avec la basse, Cottle a d'abord étudié le piano avant de se consacrer au trombone. Cette expérience multi-instrumentale est fondamentale, car elle lui a permis de développer une compréhension de l'harmonie et de la mélodie bien au-delà du rôle traditionnellement rythmique de la basse.
Malgré une polyvalence évidente, l'apprentissage de la basse électrique elle-même s'est fait sans instruction formelle. Laurence Cottle est un autodidacte, ce qui rend son niveau de virtuosité d'autant plus remarquable. Au tournant des années 1980, il déménage à Londres, cherchant à s'établir parmi l'élite des musiciens professionnels. Il bénéficie alors du réseau de son frère Richard Cottle, lui-même claviériste et musicien de session qui avait déjà collaboré avec des artistes majeurs comme Stevie Wonder, David Bowie et Mick Jagger.
Ses premiers choix d'équipement définissent déjà sa future signature sonore. Il a notamment utilisé une Fender Jazz Bass qu'il faisait passer par une unité Ancron. Le choix d'une Jazz Bass est significatif, car cet instrument est reconnu pour sa polyvalence sonore, capable de fournir des lignes claires et articulées, essentielles dans les genres émergents comme le funk et le jazz-fusion. Cottle s'ancre d'ailleurs dans cette dernière catégorie en tant que membre du quartet The Fents, contribuant à leur deuxième album, The Other Side, en 1987, un marqueur de son engagement précoce dans la scène jazz-fusion britannique.
L'Ère des Collaborations Crossover (1986-1991)
La décennie suivante voit Laurence Cottle s'établir comme le bassiste de studio incontournable du Royaume-Uni, reconnu pour sa capacité à injecter une sophistication rythmique et harmonique dans n'importe quel contexte, du rock au pop, en passant par le heavy metal.
Sa feuille de route de sessionman est impressionnante, couvrant un spectre stylistique que peu d'instrumentistes de basse peuvent égaler. Il a contribué à l'album August (1986) d'Eric Clapton, marquant son entrée dans la sphère du rock blues international. Il a également participé aux projets musicaux complexes d'Alan Parsons, jouant sur Gaudi et Freudiana, où sa capacité à naviguer des structures progressives et orchestrales était cruciale. Sa polyvalence est par la suite démontrée par ses contributions à l'album éponyme de Seal (son second disque) et à des albums de blues et de R&B de Van Morrison, tels que Roll with the Punches. Ses crédits incluent également des collaborations avec Brian Eno et, sur scène, avec Mike Oldfield pour le concert de Tubular Bells 2 en 1992.
Le Paradigme du "Bassiste Fantôme" : L'Épisode Black Sabbath
L'aspect le plus paradoxal et fascinant de la carrière de Cottle est son rôle de bassiste sur l'album Headless Cross (1989) du groupe de heavy metal britannique Black Sabbath. À la suite du départ de Bob Daisley, Cottle fut engagé comme musicien de studio. Il est confirmé qu'il a écrit et enregistré l'intégralité des parties de basse de cet album, une œuvre clé de la période Tony Martin du groupe. Bien qu'il ait participé au clip vidéo de la chanson-titre, il n'a jamais tourné avec le groupe, Mark T. Williams prenant sa place sur scène.
Ce statut de "ghost bassist" (bassiste fantôme) dans l'un des genres les plus identitaires de la musique souligne une profonde dualité. D'un côté, il est un musicien de jazz-fusion dont l'approche est axée sur l'improvisation et la sophistication harmonique ; de l'autre, il a su s'intégrer, sans reconnaissance publique durable dans le genre, à la structure rigide et rythmiquement exigeante du heavy metal. Pour un blog technique tel que gravebasse.com, cet épisode est capital : il démontre une adaptabilité technique rare, capable de fournir à Tony Iommi et Cozy Powell une fondation à la fois solide et subtile, même si son nom n'est pas associé aux tournées mythiques du groupe. Sa contribution à l'album Iommi de Tony Iommi en 2000 confirme la relation professionnelle durable issue de cette période.
L'Œuvre Solo et la Maîtrise du Jazz (1990 - Présent)
Parallèlement à son travail de session, Cottle a activement poursuivi sa carrière de compositeur et de chef d'orchestre dans le domaine du jazz. Son œuvre solo est principalement ancrée dans le jazz et le jazz fusion, lui permettant d'explorer des territoires musicaux plus personnels. L'album Five Seasons, sorti en 1992, est l'une de ses pièces maîtresses, représentant un effort significatif dans l'écriture de compositions originales pour le genre.
Cottle est un pilier du circuit jazz britannique, collaborant avec de nombreux talents, y compris les guitaristes Jim Mullen et Tim Garland. Cependant, sa période la plus prestigieuse dans le domaine du jazz progressif fut son engagement auprès de Bill Bruford's Earthworks de 2003 à 2006. Travailler avec Bill Bruford, un batteur légendaire connu pour son exigence rythmique et sa complexité (Yes, King Crimson), place définitivement Laurence Cottle parmi l'élite mondiale du jazz-rock fusion, un genre qui nécessite une musicalité et une technicité maximales.
La carrière de Cottle met en lumière une difficulté culturelle persistante au sein du milieu jazz. Bien qu'il soit reconnu comme un bassiste électrique exceptionnel dans le jazz , le genre a longtemps maintenu une préférence, voire un préjugé, en faveur de la contrebasse acoustique. Des témoignages professionnels de l'époque indiquent que Cottle ne pouvait pas être retenu pour certains engagements de jazz parce que « les promoteurs et le public n'accepteraient pas la basse électrique ».
Cette résistance illustre le combat de Cottle pour l'acceptation de son instrument de prédilection dans les bastions traditionnels du genre. Son succès continu, et son intégration dans des groupes de haut niveau comme Earthworks, ainsi que son futur rôle académique, représentent une victoire progressive pour la légitimité de la basse électrique, prouvant que la musicalité et la virtuosité transcendent les conventions instrumentales strictes du jazz. Son jeu dynamique et innovant sur la basse électrique a contribué à élargir les horizons sonores du jazz contemporain.
L'approche technique de Laurence Cottle est caractérisée par une combinaison d'une polyvalence stylistique et d'une virtuosité rigoureuse. Pour le lecteur de gravebasse.com, l'analyse de sa technique de main droite est particulièrement pertinente.
Cottle emploie souvent une technique à trois doigts pour sa main droite, incorporant le pouce, le premier doigt et le troisième doigt. Crucialement, le pouce n'est pas seulement utilisé pour le jeu, mais joue un rôle essentiel dans l'étouffement (damping) des cordes. Cette technique hybride permet à Cottle de maintenir une clarté exceptionnelle et une articulation rythmique extrêmement propre, même dans les passages rapides et complexes typiques du jazz-fusion. Cette précision est vitale, que ce soit pour assurer le slap d'une ligne funk avec Seal, les walking bass lines jazz, ou la fondation métallique de Black Sabbath.
Son approche est décrite comme étant "polyvalente, virtuose et innovante". Il possède la rare capacité de passer sans effort du jeu mélodique et fretless (sans frette) — bien que son principal instrument soit freté — du jazz, aux lignes de groove serrées et percussives du funk. Il est capable de délivrer un jeu de basse dynamique qui peut soit s'effacer pour soutenir la mélodie d'Eric Clapton, soit prendre le devant de la scène dans des solos complexes de fusion. Sa double compétence en tant que professeur de Basse Électrique et Acoustique à la Royal Academy of Music (RAM) confirme sa capacité à maîtriser et à enseigner les nuances fondamentales de la technique sur les deux instruments, bien que la basse électrique demeure son médium principal.
Laurence Cottle est également un compositeur, arrangeur et chef d'orchestre accompli. Cette facette de sa carrière lui a permis de laisser une empreinte significative dans la musique pour l'image et dans la direction de grands ensembles.
En tant que compositeur, Cottle a créé de la musique pour plus de 30 programmes de télévision et films. Ses crédits sont variés, allant de la musique additionnelle pour Lethal Weapon (1987) à des séries télévisées populaires comme Friends, Emmerdale, The Oprah Winfrey Show, et plus récemment The Fall Guy (2024). Ces réalisations démontrent une maîtrise de l'orchestration et de la production musicale, loin des contraintes purement rythmiques de la basse.
Cottle dirige son propre ensemble, le Laurence Cottle Big Band, où il explore les standards et ses propres compositions. Plus ambitieux encore est son rôle de bassiste dans l'Electric Lady Big Band. Ce projet est un hommage à Jimi Hendrix, basé sur la vision que ce dernier avait exprimée en 1970 de former un grand ensemble qu'il pourrait diriger. Bien que cette collaboration rêvée avec Gil Evans ait été interrompue par la mort de Hendrix, l'Electric Lady Big Band, co-fondé pour le 50e anniversaire de l'album Electric Ladyland, cherche à réaliser cette ambition, en expandant l'univers du rock, du blues, du funk et du psychédélisme de Hendrix pour un grand orchestre de 16 musiciens. Ce travail, qui inclut également l'arrangement de pièces complexes de Tower of Power pour Big Band , positionne Cottle comme un pont essentiel entre le rock historique et l'orchestration jazz contemporaine.
L'évolution de Cottle se concrétise dans son rôle de professeur à la prestigieuse Royal Academy of Music (RAM). Il est passé du statut d'autodidacte luttant contre les conventions du jazz à celui d'autorité académique, enseignant la basse électrique et acoustique aux futures générations de musiciens. Cette institutionnalisation de l'excellence est la validation ultime de la basse électrique comme instrument sérieux et polyvalent, méritant une étude rigoureuse et académique. Il transmet non seulement la technique instrumentale, mais aussi son expérience vaste de la composition et de l'arrangement, inspirant les étudiants avec son approche qui traverse tous les genres.
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