Martina Michèle Weymouth, connue universellement sous le nom de Tina Weymouth, incarne l'archétype de l'intellectuelle punk, une musicienne dont l'approche de l'instrument fut d'abord conceptuelle avant d'être technique. Née le 22 novembre 1950 à Coronado, en Californie, elle est issue d'un milieu multiculturel et discipliné, fille d'un pilote de chasse de l'US Navy et d'une mère française, Laure Weymouth. Cette double culture franco-américaine jouera un rôle subtil mais persistant dans sa sensibilité artistique, apportant une touche d'avant-garde européenne à ses compositions futures.
Son parcours initial ne la prédestinait pas aux scènes enfumées du rock new-yorkais. Adolescente, elle développe une aptitude pour les arts visuels et rejoint à douze ans un groupe de sonneurs de cloches (handbell ringers), une expérience précoce de la précision rythmique et de l'interdépendance musicale. C'est cependant à la prestigieuse Rhode Island School of Design (RISD) que sa trajectoire bascule. Étudiante en peinture, elle y rencontre Chris Frantz, un batteur originaire du Kentucky qui deviendra son époux en 1977, et David Byrne, un artiste excentrique de Baltimore.
L'histoire de son intégration dans ce qui deviendra les Talking Heads est fondatrice pour comprendre son style. En 1975, le trio partage un loft à New York. Frantz et Byrne, peinant à trouver un bassiste capable de comprendre leur vision décalée et minimaliste, encouragent Weymouth à s'essayer à l'instrument. Elle n'est pas une musicienne de rock conventionnelle ; elle apprend la basse en autodidacte, écoutant des disques de Suzi Quatro pour saisir l'énergie brute, et recevant une unique leçon de trente minutes de David Byrne sur les progressions de blues standard et le morceau "Slippin' and A-Slidin'" de Little Richard.
Cette absence de formalisme académique est cruciale. N'ayant pas été polluée par les clichés du blues-rock virtuose ou les démonstrations de vélocité typiques des années 70, Weymouth aborde la basse comme une toile vierge. Elle traite les lignes de basse comme des formes géométriques, privilégiant l'espace, la texture et la fonction structurelle sur l'ego musical. C'est cette fraîcheur "naïve", couplée à une intelligence rythmique féroce, qui deviendra la signature sonore des Talking Heads dès leurs premiers concerts au mythique CBGB à l'été 1975, en première partie des Ramones.
L'Espace, Le Funk et la Syncope
Le style de Tina Weymouth peut être défini comme une synthèse improbable entre le funk syncopé de James Brown, la froideur mécanique du Krautrock et l'esthétique "Do It Yourself" du Punk. Elle a transformé ses limitations techniques initiales en choix stylistiques délibérés, créant un vocabulaire bassistique qui privilégie le "groove" et l'hypnose.
Contrairement aux bassistes de fusion de la fin des années 70 qui cherchaient à remplir chaque mesure de notes, Weymouth a compris très tôt la valeur du silence. Elle a souvent cité les productions Stax et Motown, ainsi que les bassistes comme James Jamerson, non pas pour imiter leur complexité, mais pour comprendre comment "servir la chanson". Dans des morceaux emblématiques comme Psycho Killer, la ligne de basse est iconique par sa simplicité obstinée. Elle ancre la tonalité tout en laissant une place immense aux guitares angulaires et nerveuses de Byrne et Jerry Harrison. Elle ne joue pas sur le temps, elle joue avec le temps, créant une tension palpable qui définit le son "art-punk".
L'évolution de Weymouth atteint son apogée conceptuelle sur l'album Remain in Light (1980). Influencée par l'afrobeat de Fela Kuti et les expériences de Brian Eno, elle développe des lignes répétitives, presque mantriques, qui interagissent avec la polyrythmie complexe des percussions. Sur des titres comme The Great Curve ou Once in a Lifetime, la basse cesse d'être un simple marqueur harmonique pour devenir une mélodie percussive autonome. Elle navigue entre les temps forts et faibles avec une fluidité qui "fait danser" une musique pourtant cérébrale et anxieuse.
Cette approche culmine avec le projet Tom Tom Club, formé avec Chris Frantz. Libérée des contraintes conceptuelles parfois rigides de Byrne, Weymouth y explore un funk plus joyeux et hédoniste. Le morceau Genius of Love est un chef-d'œuvre de construction bassistique : une boucle parfaite, bondissante et aérée, qui ne lasse jamais l'oreille. Ce n'est pas un hasard si ce titre est devenu l'un des plus échantillonnés de l'histoire du hip-hop (notamment par Grandmaster Flash et Mariah Carey), prouvant que Weymouth avait intuitivement saisi l'essence du "breakbeat
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