Certains sont des "groovers", d'autres des "shredders", et d'autres encore des "sidemen" de l'ombre. Et puis il y a Tony Bunn. Né Robert Anthony Bunn à Baltimore, Maryland, le 18 novembre 1957, Bunn est une catégorie à part : un esprit systémique, un innovateur technique et un musicien dont la carrière est une étude fascinante de la dualité entre l'art et la science.
Issu d'une famille de musiciens, Tony Bunn a commencé son éducation musicale à l'école primaire. Son premier amour n'était pas la basse ; il visait le saxophone, inspiré par Maceo Parker avec James Brown. L'école n'ayant que des clarinettes, il a appris la clarinette. À 17 ans, il maîtrisait si bien les bois et les cuivres qu'il obtenait des bourses pour le prestigieux Peabody Institute et jouait dans des orchestres pour jeunes talents.
Ce n'est qu'à la fin du lycée qu'il "descend" vers la section rythmique et adopte la basse. Ses progrès sont fulgurants. À l'âge de 22 ans, il avait déjà un CV que beaucoup de musiciens mettraient toute une vie à assembler : il avait tourné en Europe et enregistré avec des icônes de mondes musicaux radicalement opposés, de l'afrofuturisme de Sun Ra à la fusion de Michal Urbaniak et Urszula Dudziak, en passant par le "go-go funk" de Chuck Brown et le rock'n'roll fondateur de Chuck Berry.
L'Innovation : La Naissance de la 5 Cordes Moderne
C'est au cours de cette période de créativité intense que se produit l'événement le plus significatif de Bunn pour l'histoire de notre instrument. En 1977, Tony Bunn, un jeune musicien de jazz-funk, a besoin d'étendre sa tessiture vers le grave. Il contacte un luthier alors relativement peu connu, Paul Reed Smith (PRS), pour lui commander un instrument sur mesure.
Bunn "conçoit et développe" avec PRS ce qui est considéré comme la première basse électrique moderne à 5 cordes, configurée avec un Si grave.
Pour être historiquement précis, la toute première basse à 5 cordes est généralement attribuée au luthier Alembic Inc., qui en a construit une pour le bassiste Jimmy Johnson en 1976. Cependant, l'importance de l'innovation de Bunn et PRS ne doit pas être sous-estimée. Il s'agissait d'un développement parallèle, commandé par un musicien de la côte Est avec des besoins spécifiques liés au jazz-funk. Cette collaboration a non seulement contribué à cimenter le concept de la 5 cordes "low-B" comme un outil viable pour les musiciens de studio et de fusion, mais elle a aussi marqué l'une des premières incursions de PRS dans le monde de la basse, un luthier qui allait devenir un géant de l'industrie.
La Double Vie : Musicien et Scientifique de la NASA
C'est ici que le parcours de Tony Bunn devient unique. Après ce début de carrière musical explosif, la plupart des artistes auraient continué sur leur lancée. Bunn, lui, a fait une "pause".
À la fin de la vingtaine, il retourne à l'université et obtient non pas un, mais deux diplômes de licence : l'un en mathématiques, l'autre en informatique. Il troque les tournées pour une carrière dans la programmation scientifique. Son parcours l'amène à travailler pour la NASA, où il reçoit une récompense pour son travail sur la "dynamique de vol sur le système de satellite Terra".
Il est tentant de voir cela comme deux carrières distinctes, mais il est plus juste de les considérer comme les deux facettes d'un même esprit analytique et créatif. L'homme capable de calculer la dynamique de vol d'un satellite est le même homme qui a analysé les besoins des musiciens de fusion et a conçu une solution d'ingénierie (la 5 cordes). La complexité rythmique et harmonique du jazz-funk qu'il affectionne fait appel à la même rigueur intellectuelle que la programmation scientifique.
À la cinquantaine, Tony Bunn est revenu à la musique à plein temps, produisant des projets en tant que leader et artiste solo. Son retour a été marqué par la sortie de l'album Small World en 2009, acclamé par la critique internationale. Cet album, qui met en vedette des sommités comme le batteur Dennis Chambers, est une démonstration magistrale de son approche de la composition, à la croisée du jazz, du funk et du rock.
Son travail des années 70 avec le violoniste polonais Michal Urbaniak et la chanteuse Urszula Dudziak reste un témoignage de son jeu de basse (souvent fretless) fluide et expressif, se synchronisant parfaitement avec la batterie de Lurenda Featherstone et répondant aux vocalisations scat de Dudziak.
Aujourd'hui, Tony Bunn (qui joue à la fois de la basse électrique et de la contrebasse) n'est peut-être pas le nom le plus célèbre du grand public, mais il est l'archétype du "musicien pour musiciens". Son héritage n'est pas seulement discographique ; il est physique, intégré dans le design même de l'instrument que tant de bassistes utilisent aujourd'hui.
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