Le 16 novembre 1962 marque la naissance à Crumpsall, Manchester, de Gary "Mani" Mounfield. Pour les adeptes de l'histoire musicale britannique, ce nom est synonyme de "groove". Mani n'est pas simplement le bassiste de deux des groupes les plus influents du Royaume-Uni, The Stone Roses et Primal Scream ; il est l'architecte et le principal vecteur sismique du son "Madchester". Son style de basse, à la fois agile et lourd, est le ciment qui a fusionné le rock psychédélique hérité des années 60 avec la culture dance extatique qui a défini le tournant des années 90.
L'influence de Mani est l'une des rares à s'être avérée entièrement portable. Il est l'un des rares musiciens à avoir non seulement défini le son d'un groupe légendaire, mais aussi à avoir transféré cet ADN avec succès pour redéfinir un autre groupe majeur. Après avoir fourni les fondations du son des Stone Roses, son arrivée chez Primal Scream a été le catalyseur direct de leur réinvention. Bobby Gillespie, le leader de Primal Scream, a décrit l'apport de Mani comme un "son de basse monolithique". Cette influence n'était pas passive ; elle était la force motrice qui a provoqué un "tournant dans la bonne fortune de Primal Scream" (upturn in Primal Scream's good fortune), coïncidant directement avec leur "réinvention en tant que groupe de dance de style Madchester". Son groove était un actif culturel, une monnaie d'échange sonore qu'il a emportée de Manchester à Glasgow.
De Crumpsall aux Stone Roses (1987-1996)
Gary Mounfield a quitté l'école à l'âge de seize ans en 1979. Il a rejoint The Stone Roses en 1987, remplaçant leur bassiste d'origine, Pete Garner. Cette date, 1987, n'est pas un détail anodin. C'est le moment précis où la section rythmique la plus mythique de l'ère "Madchester" s'est formée. L'arrivée de Mani a solidifié sa connexion télépathique avec le batteur Alan "Reni" Wren, un partenariat qui allait devenir le cœur battant du groupe.
Le groupe existait avant Mani, mais il n'avait pas encore trouvé son son révolutionnaire. C'est l'alchimie entre la batterie polyrythmique et funky de Reni et les lignes de basse mélodiques et propulsives de Mani qui a permis la fusion complète des rythmes dance avec le jangle-pop et le rock psychédélique. Par conséquent, lorsque le groupe a sorti son premier album éponyme en 1989 , Mani n'était pas un simple exécutant ; il en était le co-architecte essentiel.
Son jeu sur des classiques comme "I Wanna Be Adored" ou "She Bangs the Drums" n'est pas un simple suivi de la guitare ; il crée des contre-mélodies qui ancrent la voix éthérée d'Ian Brown et les guitares carillonnantes de John Squire. La section rythmique qu'il formait avec Reni a défini le son du groupe, un son qui a conduit à des concerts légendaires à Spike Island, Wembley et, bien plus tard, à Heaton Park. Cette période a également été marquée par le chaos, notamment les tristement célèbres batailles juridiques avec leur label Silvertone , qui ont conduit à un long silence avant l'album Second Coming et la dissolution éventuelle du groupe en 1996.
Anatomie d'un Groove : Équipement et Technique
Le son de Mani est décrit comme "monolithique" et "explosif" , mais il est aussi capable d'une agilité funk indéniable, comme en témoigne le "crossover dancefloor" de "Fools Gold". L'équipement qu'il a choisi est la clé pour comprendre son rôle de "traducteur" sonore. Il n'utilise pas l'arsenal rock standard de son époque. Ses choix sont délibérément conçus pour combler le fossé entre le rock et l'électronique.
Là où un bassiste rock typique se serait contenté d'une Fender Precision et d'un amplificateur Ampeg, l'arsenal de Mani révèle une palette sonore bien plus large. Ses Rickenbacker fournissent une attaque et un mordant distinctifs. Plus révélateur encore, son utilisation de pédales comme l'Electro-Harmonix Bass Micro Synth et le MXR Envelope Filter lui permet de générer des textures issues du funk et de la musique électronique.
Son équipement lui permet de jouer un double rôle : il fournit la mélodie et l'ancre harmonique du rock, tout en imitant la pulsation, les balayages de filtre et les textures d'un synthétiseur de musique dance. C'est cette capacité à être à la fois un bassiste rock et une boîte à rythmes funk qui a rendu la fusion "Madchester" si efficace. Son son de basse lors des tournées de réunion a été analysé en détail, notant son utilisation d'amplis hybrides comme le Mesa Big Block 750, qui lui donne un son "tout lampe" (all valve) malgré sa nature hybride.
Le tableau suivant résume l'arsenal emblématique qui a façonné le son de Mani au fil des ans.
| Catégorie | Modèle | Signification et Contexte |
|---|---|---|
| Basses | Rickenbacker 4005 | Le modèle emblématique de l'ère Stone Roses, célèbre pour sa finition de peinture "influencée par Jackson Pollock". |
| Epiphone Jack Casady | Sa basse principale lors de la tournée de réunion (2011-2017). Deux modèles ont été personnalisés par l'artiste Jim Lambie. | |
| Rickenbacker 3001 | Modèle utilisé à la fin des années 90, notamment celle qu'il a jetée sur scène à Atlanta en 1995. | |
| Amplis | Mesa/Boogie Big Block 750 | L'ampli principal des tournées de réunion, apprécié pour sa capacité à créer un son chaud, de type lampe, à haut volume. |
| Marshall VBA400 | Également listé comme un composant clé de sa configuration d'amplification pour la puissance. | |
| Pédales | Electro-Harmonix Bass Micro Synth | Essentiel pour les sons synthétiques et filtrés, confirmant l'influence dance/funk dans son jeu. |
| MXR M82 Bass Envelope Filter | Utilisé pour les sons "wah" funky et liquides, particulièrement sur les grooves de type "Fools Gold". |
La Deuxième Vague : Primal Scream (1997-2011)
Lorsque les Stone Roses se séparent en 1996, l'avenir de Mani est bref. Il avait plaisanté en disant que Primal Scream était l'un des trois seuls groupes qu'il accepterait de rejoindre (les autres étant The Jesus and Mary Chain et Oasis). Fidèle à sa parole, il rejoint Primal Scream. Il a raconté avoir "kidnappé" le chanteur Bobby Gillespie après un concert des Roses, lui "plantant l'idée" dans la tête que les Roses allaient bientôt se séparer.
Son impact est immédiat. L'album Vanishing Point (1997) signale un virage décisif vers la fusion dance-rock que Mani avait perfectionnée. L'exemple le plus flagrant est le single "Kowalski". La ligne de basse de Mani sur ce morceau, décrite comme une "basse 'mitraillette'" (machine-gun like bass) , n'est pas un accompagnement ; c'est le riff principal. C'est un assaut percussif, agressif et incessant. C'est ce que Gillespie voulait dire par "explosif". Ce titre est devenu le plus grand succès de Primal Scream à ce jour et a prouvé que "l'influence ciblée" de Mani pouvait revitaliser et redéfinir un groupe déjà établi. Son apport a atteint sa pleine maturité sur l'album suivant, l'acclamé XTRMNTR (2000). Mani est resté un membre à plein temps de Primal Scream jusqu'à ce que l'appel de la résurrection des Stone Roses ne le ramène au bercail en 2011.
L'Homme derrière la Basse : Personnalité et Héritage
La personnalité publique de Mani est indissociable de sa musique. Il est décrit avec humour comme ressemblant à un "mineur de charbon qui a gagné à la loterie" et est connu pour son esprit "tapageur" (riotous) et son soutien indéfectible à Manchester United , dont l'hymne d'avant-match est "This Is the One" des Stone Roses.
Sa carrière est jalonnée d'anecdotes qui illustrent son caractère. Il se décrit comme un "vinyl junkie" (drogué du vinyle), dépensant trop d'argent en disques au grand désespoir de sa femme. Il accuse volontiers Ian Brown de lui avoir volé ses meilleurs albums de reggae et d'avoir laissé un "jam butty" (sandwich à la confiture) sur l'un d'eux. Il se souvient de l'apparition notoire à Top of the Pops avec les Happy Mondays comme d'un chaos total, où ils étaient "hors de contrôle" et tentaient de faire prendre de l'ecstasy aux membres "coincés" (fistheads) de Fine Young Cannibals.
Ces histoires ne sont pas de simples gags ; elles sont l'expression de son identité musicale et culturelle. L'anecdote la plus révélatrice est peut-être celle de son DJ set au club Manumission à Ibiza. Élu "pire DJ d'Ibiza" cette année-là par Mixmag, il a revendiqué cet honneur. Il a délibérément joué du punk hardcore (The Exploited, Angelic Upstarts) pour "gâcher l'E buzz de tout le monde" (gâcher l'ambiance ecstasy). Il a considéré cela comme une "mission accomplie".
Ce geste était un acte de rébellion délibéré. Mani méprise la fadeur et la commercialisation. Il a critiqué la musique dance devenue "fade" (bland) et une scène d'Ibiza devenue "sans âme" et "corporative". Sa personnalité "tapageuse" , son identité mancunienne de la classe ouvrière et son style de basse "explosif" sont une seule et même chose : une résistance authentique à la musique pop préfabriquée et à "toutes ces conneries de boy band".
Aujourd'hui, Mani est célébré à juste titre comme une icône culturelle, son influence étant telle que sa vie fait l'objet de tournées de conférences à guichets fermés intitulées "Mani: The Stone Roses, Primal Scream, and Me". Joyeux anniversaire à l'homme dont le son de basse monolithique a fourni la bande-son d'une résurrection culturelle.
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