Dans le panthéon du heavy metal, la basse est souvent reléguée au rôle de soutien invisible, noyée sous un mur de guitares. Mais dans la machine de guerre rythmique qu'est Megadeth, la basse n'est pas un soutien ; c'est un bélier. L'homme qui tenait ce bélier pendant la majeure partie de l'histoire du groupe est David Ellefson. Né le 12 novembre 1964, "Junior" (son surnom) n'est pas seulement le co-fondateur de l'un des "Big Four" du thrash metal ; il est l'ingénieur qui a défini le son et la technique de la basse thrash pour les générations à venir.
Né à Jackson, Minnesota , le parcours de David Ellefson démolit le stéréotype du rocker brut et autodidacte. Avant même de toucher une basse, Ellefson était un musicien formé. Il a appris l'orgue d'église et le saxophone ténor à l'école, ce qui signifie qu'il savait lire la musique et comprenait la théorie et la dynamique. Cette formation "savante" allait s'avérer cruciale, mais l'inspiration, elle, fut résolument "populaire".
L'épiphanie a lieu dans un endroit improbable : un tracteur John Deere dans la ferme de ses parents. C'est là, via une cassette 8-track, qu'il entend l'album Not Fragile (1974) de Bachman-Turner Overdrive. Ellefson a déclaré que cet album était "100% responsable" de sa décision de devenir bassiste professionnel. Ce qui l'a captivé n'était pas la guitare, mais le riff de basse d'ouverture, lourd et proéminent.
Cette révélation le pousse à quitter le Midwest pour Los Angeles. Peu de temps après son arrivée, il rencontre un guitariste frustré et furieux, récemment renvoyé d'un groupe alors en pleine ascension nommé Metallica : Dave Mustaine. De cette rencontre naît Megadeth en 1983. Mustaine surnomme rapidement l'autre Dave "Junior", un nom qui lui restera.
Cette tension entre sa formation musicale formelle et son inspiration rock primitive devient la clé de son style. Ellefson n'est pas un bassiste de blues ou de groove ; c'est un traducteur. Il utilise la discipline et la précision de sa formation pour exécuter l'énergie brute et la vitesse du thrash. Il a joué un rôle essentiel dans la sophistication du genre, en appliquant une rigueur technique à un style défini par son chaos apparent.
Le rôle d'Ellefson dans Megadeth est unique. Il est célèbre pour ne pas simplement soutenir les riffs de guitare de Dave Mustaine, mais pour les doubler. Sur des albums fondateurs qui ont défini le genre – Killing Is My Business... and Business Is Good! (1985), Peace Sells... but Who's Buying? (1986), le chef-d'œuvre technique Rust in Peace (1990) et le succès commercial Countdown to Extinction (1992) – la basse d'Ellefson est un assaut unisson, une attaque percussive qui verrouille la section rythmique avec une précision chirurgicale.
Pour obtenir ce son, Ellefson utilise une technique souvent décriée par les puristes : le médiator (ou plectre). Il est un ardent défenseur de cette approche. Il rejette les critiques comme étant des "bass snobs" et des "weekend-warriors" (guerriers du week-end), affirmant que les musiciens professionnels comprennent que le médiator fournit un "son désiré", en particulier en studio. Ce son est essentiel pour "percer un mix chargé en guitares", donnant à la basse une attaque claire et métallique qui ne se perd pas dans la distorsion.
Sa défense du médiator est, en fait, une déclaration philosophique. Ellefson se place dans la lignée de bassistes-compositeurs comme Paul McCartney, Sting, Phil Lynott et Gene Simmons, qui utilisent également le médiator. Il a souvent expliqué que, comme eux, il écrit aussi à la guitare et qu'il se considère davantage comme un "compositeur" et un "performer" que comme un "bassiste" adhérant à un dogme. L'utilisation du médiator est le résultat de sa vision de la basse comme un outil au service de la chanson et de la performance, et non l'inverse.
La carrière d'Ellefson a été marquée par deux longues périodes avec Megadeth (1983-2002 et 2010-2021). Depuis son départ très médiatisé en 2021, il n'a pas ralenti, mais a plutôt choisi de déconstruire son identité musicale en explorant ses deux extrêmes.
Megadeth a toujours existé dans un équilibre entre le thrash technique pur (comme sur Rust in Peace ou Dystopia) et le hard rock plus accessible (comme sur Cryptic Writings ou Risk). Les projets post-2021 d'Ellefson isolent ces deux pôles.
D'un côté, il y a The Lucid, formé en 2021 avec des membres de Sponge (Vinnie Dombroski) et Fear Factory (Mike Heller). Leur musique est un "grand écart" stylistique, embrassant le "hard rock des années 90 et l'alternatif". C'est un son qu'Ellefson, qui a cité The Cure comme influence , a décrit comme "rafraîchissant" et une exploration de "nouvelles avenues musicales".
De l'autre côté, il y a Dieth, formé en 2022. Ce projet, monté avec d'anciens membres des groupes de metal extrême Entombed A.D. et Decapitated , replonge Ellefson dans le metal, mais le pousse bien au-delà du thrash. Leur premier single est décrit comme du "death metal technique", un "contexte de metal extrême".
Plutôt que d'essayer de recréer le passé, David Ellefson utilise sa liberté pour explorer pleinement les deux facettes de sa personnalité musicale : le compositeur de rock alternatif avec The Lucid, et le technicien de metal extrême avec Dieth. Son héritage reste celui d'un pionnier qui a donné à la basse un rôle offensif et défini la précision requise pour jouer du thrash metal au plus haut niveau.
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