Souvenir, Samuel "Sam" Jones, Né le 12 novembre 1924, Le Cœur Battant du Hard Bop

Publié le 12 novembre 2025 à 22:26

Pour les puristes du jazz, le terme "groove" n'est pas un concept abstrait ; c'est une sensation physique, un fondement rythmique si solide qu'il en devient presque invisible. Pendant trois décennies, cet homme s'appelait Sam Jones. Né le 12 novembre 1924, Sam Jones fut l'un des contrebassistes les plus recherchés, les plus fiables et les plus profondément soulful de l'ère hard bop, un musicien dont la technique impeccable n'avait d'égale que son swing infaillible.   

Né Samuel Jones à Jacksonville, en Floride, il baigne dans la musique dès son plus jeune âge. Son environnement familial pose les fondations de sa carrière : son père joue du piano et de la batterie, tandis que sa tante est organiste à l'église. Cette exposition précoce à la fois au rythme et à l'harmonie se manifeste dans sa formation initiale ; il étudie la batterie et la guitare , et joue même de la grosse caisse à l'école. Mais c'est la contrebasse qui l'attire, un instrument qu'il commence à maîtriser au lycée en jouant avec des groupes locaux.   

Contrairement à de nombreux prodiges du jazz arrivés à New York à l'adolescence, Jones arrive sur la scène en 1955, déjà âgé de 30 ans. Ce n'est pas un jeune loup, mais un musicien pleinement mature. Cette maturité est son principal atout. Sa réputation de fiabilité et de son impeccable le précède , et il est immédiatement engagé, commençant sa carrière d'enregistrement avec le groupe de R&B de Tiny Bradshaw. Son arrivée tardive signifie qu'il est prêt pour le plus haut niveau, et il se retrouve presque aussitôt à jouer avec des géants comme Bill Evans  et à effectuer un premier passage (1955-1956) avec le quintet de Cannonball Adderley.   

Si Jones a joué avec presque tous les grands noms, sa collaboration la plus célèbre reste son deuxième séjour (1959-1964) au sein du quintet de Cannonball Adderley. C'est là qu'il cimente sa légende. Associé au batteur Louis Hayes, il forme ce que les critiques et les musiciens considèrent encore aujourd'hui comme une "section rythmique de référence" (benchmark rhythm section), la définition même d'être "in the pocket" – cet état de grâce où le rythme est parfaitement en place, propulsif et détendu à la fois.   

Leur travail sur des albums classiques comme The Cannonball Adderley Quintet in San Francisco (1959) et Them Dirty Blues (1960) devient la pierre angulaire du "soul jazz". Mais Jones n'est pas qu'un simple accompagnateur. Il devient un compositeur essentiel pour le groupe, signant des morceaux qui deviendront des standards du jazz, notamment les célèbres "Del Sasser" et "Unit 7".   

En devenant un compositeur reconnu au sein d'un groupe aussi populaire, Jones contribue à élever le statut du bassiste. À une époque où les bassistes leaders étaient une rareté (à l'exception de figures comme Charles Mingus), le succès de Jones en tant que compositeur légitime l'instrument en tant que force créatrice et mélodique. Cannonball Adderley lui-même, écrivant les notes de pochette du premier album solo de Jones, The Soul Society (1960), note à quel point il est "inhabituel" pour un bassiste de diriger sa propre session d'enregistrement.   

La stature de Jones est telle qu'en 1966, il est choisi pour la tâche monumentale de remplacer le légendaire Ray Brown dans le trio d'Oscar Peterson, un poste qu'il occupera jusqu'en 1970. Pendant une période (1966-1967), il y retrouve son ancien complice Louis Hayes. Leur association chez Peterson est si explosive qu'ils sont surnommés le "dynamic duo", reconnu à l'époque comme le "duo rythmique le plus puissant du jazz".   

Parallèlement à la contrebasse, Jones est un violoncelliste de jazz accompli, un instrument qu'il explore en profondeur sur ses albums solo pour le label Riverside (The Soul Society, The Chant, Down Home). Son jeu de violoncelle, lyrique et teinté de blues, le place aux côtés d'autres grands maîtres du violoncelle jazz comme Oscar Pettiford et Ray Brown.   

Le curriculum vitae de Jones agit comme une carte des interconnexions du jazz de l'après-guerre. Il est le "connecteur" fondamental du hard bop. Sa capacité à ancrer n'importe quel contexte musical sans jamais perdre sa propre voix soulful est stupéfiante. Il enregistre la bande originale du film Les Liaisons Dangereuses (1959) avec Thelonious Monk , joue avec le père du bebop Dizzy Gillespie , le pionnier du piano modal Bill Evans , le maître du soul jazz Bobby Timmons  et, plus tard, le pianiste sophistiqué Cedar Walton (1972-1977). Il est le dénominateur commun, la fondation sur laquelle tous les autres pouvaient s'appuyer.   

Sam Jones est souvent décrit comme le "champion poids lourd du walking bass". Sa technique n'était pas tape-à-l'œil, mais elle était parfaite. Là où d'autres bassistes utilisaient le walking bass (le motif de notes régulières qui soutient l'harmonie) comme une simple fonction, le jeu de Jones était "intrinsèquement musical". Il était capable de construire des solos entiers uniquement à partir de ces motifs de marche, en variant subtilement le rythme et la mélodie pour créer une tension et une relâchement captivants.   

Il a poursuivi sa carrière en tant que leader dans les années 1970, enregistrant pour les labels Xanadu et SteepleChase. Sam Jones est décédé prématurément d'un cancer du poumon le 15 décembre 1981, à l'âge de 57 ans. Il laisse derrière lui un héritage non pas d'acrobaties, mais de pureté : le son plein, chaud et boisé d'une contrebasse qui ne joue jamais une note de trop, et un sens du swing qui continue de définir le jazz.   

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