Le 24 octobre marque la naissance d'un musicien dont le nom n'a peut-être pas l'éclat des grands solistes, mais dont la contribution fut essentielle à l'âge d'or du jazz. Né en 1920 à Saint-Louis, Missouri, Wendell Marshall était un contrebassiste de jazz dont la carrière est indissociable de l'un des plus grands ensembles de l'histoire de la musique : l'orchestre de Duke Ellington.
Pour Wendell Marshall, la musique était une affaire de famille, et quelle famille. Son cousin n'était autre que le légendaire Jimmy Blanton. Blanton, bien que décédé tragiquement à 23 ans, avait totalement révolutionné le rôle de la contrebasse dans le jazz au début des années 40, la faisant passer d'un simple instrument de marquage temporel (le timekeeping) à un véritable instrument mélodique et soliste. C'est Blanton lui-même qui a encouragé le jeune Wendell à se tourner vers la contrebasse.
Après avoir servi dans l'armée pendant la Seconde Guerre mondiale, Marshall a commencé sa carrière professionnelle en jouant avec des pointures comme le violoniste Stuff Smith. Cependant, son destin bascule en 1948. Le bassiste attitré de Duke Ellington, Oscar Pettiford (lui-même un géant), quitte l'orchestre. Ellington, qui avait déjà été marqué par le génie de Jimmy Blanton, engage alors son cousin, Wendell Marshall.
Rejoindre l'orchestre d'Ellington à cette époque, c'était rejoindre la première division de la musique mondiale. Marshall est resté le contrebassiste principal de Duke Ellington pendant une période cruciale, de 1948 à 1955. Son arrivée a coïncidé avec une ère de transition où le swing des big bands commençait à intégrer les complexités harmoniques et rythmiques du be-bop.
Le jeu de Marshall était le mélange parfait de tradition et de modernité. Il possédait un son large, puissant et une intonation impeccable, héritage de l'école swing. Il assurait une fondation rythmique d'une fiabilité absolue, ce que l'on appelle le walking bass (la "basse qui marche"). Mais il avait aussi intégré les leçons de Blanton : ses lignes de basse n'étaient pas seulement rythmiques, elles étaient aussi mélodiques, dialoguant avec les arrangements complexes de Billy Strayhorn et d'Ellington.
Durant ses sept années avec le "Duke", Marshall a participé à des enregistrements légendaires. Il est la pulsation derrière des chefs-d'œuvre comme "Harlem" ou "Ellington Uptown" (qui comprend la célèbre "A Tone Parallel to Harlem"). Il a également accompagné les nombreux "petits ensembles" (small groups) dirigés par les solistes vedettes de l'orchestre, comme Johnny Hodges.
En 1955, Marshall quitte l'orchestre d'Ellington, mais sa carrière est loin d'être terminée. Devenu un sideman (accompagnateur) extrêmement recherché à New York, il prête son son solide et son oreille harmonique infaillible à une liste vertigineuse de géants du jazz. Il enregistre pour les labels les plus prestigieux comme Blue Note, Prestige et Riverside.
Il accompagne ainsi des figures majeures de la transition bop et hard-bop : on peut l'entendre sur des albums de Thelonious Monk, Coleman Hawkins, Art Blakey, Donald Byrd, et Milt Jackson. Il a également joué un rôle important dans les orchestres de fosse de Broadway pendant de nombreuses années.
Wendell Marshall, décédé en 2002, fait partie de ces musiciens de l'ombre dont l'importance est capitale. Il n'a pas cherché la lumière des projecteurs, mais il a fourni le soutien indéfectible et intelligent qui a permis aux solistes de briller. Il a porté l'héritage de son cousin Jimmy Blanton et l'a transmis à la génération suivante, assurant la continuité entre le swing et le jazz moderne. En ce 24 octobre, nous célébrons la mémoire d'un maître du groove et de la justesse.
Ajouter un commentaire
Commentaires