Stephen Lee Bruner, connu sous le nom de scène Thundercat, est bien plus qu'un bassiste ; il est l'une des forces musicales les plus vitales et influentes du 21e siècle. Son parcours est une odyssée à travers les genres, les émotions et les techniques, faisant de lui une figure emblématique de l'innovation musicale contemporaine.
Une Dynastie Musicale en Devenir
Né le 19 octobre 1984 à Los Angeles, en Californie, Stephen Bruner a vu le jour au sein d'une famille où la musique n'était pas une passion, mais un héritage. Son père, Ronald Bruner Sr., était un batteur de renom qui a marqué de son rythme l'âge d'or de la Motown, accompagnant des légendes telles que The Temptations, The Supremes et Gladys Knight. Cette filiation directe avec la grande tradition de la musique noire américaine a constitué le terreau de la virtuosité future de Bruner. Sa mère, Pam, flûtiste et percussionniste, ainsi que ses frères accomplis — le batteur lauréat d'un Grammy Ronald Jr. et le claviériste Jameel du groupe The Internet — ont complété ce tableau d'un foyer où, selon ses propres termes, « la musique était reine ».
Dès son plus jeune âge, Bruner s'est tourné vers la basse, guidé par les phares que représentaient pour lui des maîtres comme Stanley Clarke et Marcus Miller. Des anecdotes, comme celle où il apprenait les lignes de basse en regardant la cassette des Tortues Ninja, illustrent une connexion précoce et immersive avec son instrument. La carrière de son père, ancrée dans la soul et la Motown, représente un pilier fondamental de la musique populaire du 20e siècle. Ses fils ont absorbé cette base pour devenir des acteurs clés de genres modernes mais connectés : le crossover thrash, la fusion jazz, la neo-soul et le hip-hop révolutionnaire. Cette trajectoire n'est pas une coïncidence ; elle cartographie l'évolution de ces formes musicales. Les lignes de basse funk et soul de la Motown sont les ancêtres directs des grooves complexes de la fusion jazz et du hip-hop. La carrière collective de la famille Bruner incarne cette évolution, faisant de Thundercat non seulement le produit de son environnement, mais aussi l'héritier et l'innovateur d'un héritage riche et continu.
Des Pits de Thrash aux Sessions de Soul : Forger une Identité Fluide
Le début de carrière de Bruner est un témoignage de son éclectisme précoce. À 15 ans, il connaît un succès mineur en Allemagne avec le boys band No Curfew. Un an plus tard, à 16 ans, il opère un virage à 180 degrés en rejoignant le légendaire groupe de crossover thrash Suicidal Tendencies, où il succède à Josh Paul. Cette période s'est avérée être un creuset crucial pour ses compétences techniques et son éthique professionnelle. L'influence du leader de Suicidal Tendencies, Mike Muir, a été profonde. Muir a agi comme un mentor pour le jeune Bruner, lui enseignant les subtilités de la vie d'artiste, le leadership et l'importance d'éviter les « pièges du sexe, des drogues et du rock and roll », lui offrant ainsi une ancre vitale pour sa carrière.
Parallèlement, il s'est imposé comme un musicien de session très recherché, contribuant notamment à l'album New Amerykah d'Erykah Badu et collaborant avec Sa-Ra Creative Partners, ce qui l'a intégré dans la scène beat émergente de Los Angeles. Le saut apparemment discordant d'un boys band à un groupe de thrash metal n'est pas une simple anecdote, mais l'origine même de son approche artistique. Cela démontre une concentration fondamentale sur la musicalité pure plutôt que sur l'allégeance stylistique. Pour exceller dans des genres aussi opposés avant l'âge de 17 ans, il faut se concentrer sur les exigences techniques de chaque style plutôt que sur un engagement idéologique envers une "scène". Cette expérience a probablement démantelé toute notion de pureté de genre dans son esprit, l'entraînant à voir toute musique comme une série de problèmes créatifs à résoudre avec son instrument. Cette fluidité précoce est la clé qui lui a permis plus tard de collaborer de manière transparente avec des artistes aussi divers que Kendrick Lamar, Michael McDonald et Gorillaz.
Le Nexus Brainfeeder : Un Partenariat Symbiotique avec Flying Lotus
La rencontre avec le producteur Steven "Flying Lotus" Ellison a été un tournant décisif. Leur relation est rapidement devenue symbiotique : la basse de Thundercat est devenue un élément signature de l'album phare de Lotus, Cosogramma, tandis que Lotus a fourni à Bruner l'encouragement et la plateforme nécessaires pour passer du statut de sideman à celui de leader. Le label de Lotus, Brainfeeder, est devenu le foyer créatif qui a nourri la vision solo de Thundercat. Lotus a produit ses premiers albums et a favorisé un environnement d'expérimentation sans peur, devenant un catalyseur pour un nouveau paradigme musical.
Ce partenariat a été le moteur du label Brainfeeder, qui est à son tour devenu l'épicentre d'un nouveau mouvement musical à Los Angeles, brouillant les frontières entre le jazz, le hip-hop et la musique électronique. La "connexion mentale" partagée par Thundercat et Flying Lotus a formé le noyau créatif du collectif. Les sorties de Brainfeeder, mélangeant une "sensation vintage avec une pensée avant-gardiste", ont défini le son de la "scène beat de L.A.". Ce même collectif, incluant Thundercat, Flying Lotus, Kamasi Washington et Terrace Martin, allait former l'équipe musicale principale de To Pimp a Butterfly de Kendrick Lamar. Ainsi, Brainfeeder n'était pas seulement un label qui publiait la musique de Thundercat ; c'était l'incubateur de la palette sonore exacte qui allait plus tard redéfinir le hip-hop grand public.
L'Épicentre Créatif : Redéfinir le Hip-Hop avec Kendrick Lamar
La contribution de Thundercat au chef-d'œuvre de Kendrick Lamar en 2015, To Pimp a Butterfly, est monumentale. Il n'était pas un simple contributeur, mais un architecte en chef du son de l'album. Son rôle était multiple : co-producteur sur des titres clés comme "Wesley's Theory", "Hood Politics" et "Complexion" ; co-auteur sur ces mêmes morceaux ainsi que sur "Mortal Man" ; chanteur sur "Wesley's Theory" et "These Walls" ; et bien sûr, bassiste sur l'ensemble du projet. Sa victoire aux Grammy Awards en 2016 pour la meilleure performance rap/chantée pour son travail sur "These Walls" a été une reconnaissance significative de son impact. Des anecdotes des sessions d'enregistrement, comme la surprise de ses amis en découvrant ses talents de chanteur, témoignent de son implication personnelle et profonde.
Son rôle sur TPAB dépassait celui de musicien ; il était le conduit essentiel qui a permis de traduire le langage improvisé et profond de la scène jazz de L.A. dans le cadre du hip-hop de Kendrick Lamar. Le noyau de musiciens de l'album était un groupe soudé de la scène jazz de L.A. qui jouait ensemble depuis des années. Thundercat, étant profondément ancré à la fois dans ce monde du jazz et dans celui de la production hip-hop via Brainfeeder, possédait une double fluidité unique. Il pouvait comprendre la complexité harmonique de ses pairs jazz tout en saisissant la structure et les besoins narratifs d'un album de Kendrick Lamar. Ses crédits étendus en tant que producteur et auteur confirment ce rôle architectural : il n'ajoutait pas seulement des licks de jazz, il aidait à construire les fondations mêmes des chansons.
L'Artiste Solo : Un Voyage à travers l'Humour, le Deuil et l'Absurde
La discographie solo de Thundercat trace une évolution artistique fascinante à travers quatre albums clés : The Golden Age of Apocalypse (2011), Apocalypse (2013), Drunk (2017) et l'album primé aux Grammy, It Is What It Is (2020). Son œuvre est marquée par la juxtaposition de thèmes récurrents. D'un côté, un humour absurde et une célébration de la culture pop, avec son amour pour l'anime, les dessins animés et les jeux vidéo se traduisant par des paroles sur les poils de chat ou son "Dragonball Durag". De l'autre, un deuil profond et un existentialisme poignant, explorant comment la mort d'amis proches, notamment le pianiste Austin Peralta et surtout le rappeur Mac Miller, a profondément façonné sa musique, en particulier sur Apocalypse et It Is What It Is.
La signature artistique unique de Thundercat réside dans la collision délibérée entre une complexité musicale suprême et des thèmes lyriques banals, souvent idiots. Ce n'est pas un gadget, mais une déclaration artistique profonde qui démystifie la virtuosité et rend sa musique complexe accessible et profondément humaine. Sa musique, techniquement avancée et inspirée des maîtres de la fusion jazz, est "high art". Ses paroles, portant sur des sujets quotidiens ou geeks, relèvent de la "low art" ou de la culture pop. En fusionnant les deux, il brise les barrières traditionnelles, suggérant qu'une chanson à la complexité harmonique d'un Herbie Hancock peut aussi parler du désir d'impressionner une fille avec un accessoire de mode. Cet acte rend sa virtuosité moins intimidante et plus accueillante, reflétant une sensibilité moderne où toutes les formes de culture coexistent.
La Technique Thundercat : Anatomie d'un Maître Moderne
L'approche de Thundercat à la basse est révolutionnaire. Son style est polyphonique et choral, traitant l'instrument non pas comme un simple soutien rythmique, mais comme un instrument principal capable de porter la mélodie et l'harmonie, à l'instar d'un piano ou d'une guitare. Son langage harmonique est unique, caractérisé par l'utilisation de "outside chords" (accords hors tonalité), de changements de clés et de chromatismes, comme en témoignent des morceaux tels que "Friend Zone" et "Them Changes". Il associe magistralement cette complexité harmonique à des mélodies simples et accrocheuses, créant une tension et une résolution qui sont devenues sa marque de fabrique.
Son instrument principal, la basse Ibanez TCB1006 Thundercat Signature à 6 cordes, est une extension de sa vision musicale. Sa construction semi-hollow, sa large tessiture et son électronique avancée lui permettent d'explorer des territoires sonores inaccessibles à la plupart des bassistes.
| Caractéristique | Spécification | Importance |
|---|---|---|
| Construction du Corps | Table en érable pommelé, dos et éclisses en érable bouclé, semi-hollow | Offre une résonance chaude et un son équilibré, évitant le larsen tout en fournissant une richesse tonale.22 |
| Construction du Manche | Manche collé 5 pièces en érable/purpleheart | Assure la clarté tonale, une attaque supérieure et la stabilité nécessaire pour supporter la tension de six cordes.23 |
| Touche/Frettes | Touche en palissandre, 24 frettes jumbo avec traitement Prestige | Permet un jeu rapide et sans effort, une bonne articulation des accords et une clarté dans les notes uniques.23 |
| Micros | 2x EMG 45HZ (passifs) | Fournissent un son chaud, avec beaucoup de sortie et un faible bruit de fond, idéal pour son style expressif.22 |
| Électronique | Système modulaire Graph Tech Ghost® avec sortie Piezo et MIDI | Offre une polyvalence sonore extrême, permettant de mélanger le son magnétique avec un son acoustique de type piezo et de contrôler des synthétiseurs via MIDI.22 |
| Chevalet/Accastillage | Chevalet Hipshot A style, mécaniques Hipshot Ultralite | Le chevalet offre un espacement des cordes de 19 mm pour faciliter les techniques de slap, tandis que les mécaniques légères assurent l'équilibre de l'instrument.23 |
| Cordes/Accordage | La Bella Deep Talkin' Flatwound (filets plats) et Tapewound (filets nylon), accordage BEADGC | La combinaison unique de types de cordes est essentielle à sa sonorité, offrant à la fois la chaleur des filets plats et le "thump" des filets nylon. L'accordage à 6 cordes étend sa tessiture pour le jeu choral et soliste.23 |
Héritage et Influence : Le Bassiste en tant que Star à part Entière
L'impact de Thundercat sur la musique contemporaine est indéniable. Son classement par Rolling Stone parmi les plus grands bassistes de tous les temps témoigne de sa reconnaissance critique. Son principal héritage est d'avoir élevé le profil du bassiste, le faisant passer d'un musicien de l'ombre à un artiste solo charismatique, lauréat de Grammy Awards et leader de scène dans l'industrie musicale moderne. Il a inspiré une nouvelle génération de musiciens et a réintroduit le vocabulaire de la fusion jazz auprès d'un public plus jeune et orienté hip-hop, cimentant ainsi sa place comme l'un des musiciens les plus importants de sa génération.
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