
En ce 14 octobre, nous célébrons la naissance d'un musicien dont l'influence sismique sur la guitare basse dépasse de loin sa renommée publique : Colin Hodgkinson. Né en 1945 à Peterborough, en Angleterre, il n'est pas une rockstar au sens traditionnel du terme, mais plutôt un architecte de l'ombre, un "secret le mieux gardé de la basse" dont l'approche a radicalement redéfini les possibilités de l'instrument. Le paradoxe de sa carrière est saisissant : bien que son nom ne résonne pas avec la même force que celui de ses contemporains les plus célèbres, son style unique et sa virtuosité l'ont placé, aux yeux des critiques et de ses pairs, au même panthéon que des légendes comme Jaco Pastorius ou Stanley Clarke. Son anniversaire est l'occasion de rendre hommage à un véritable innovateur, un "musicien pour musiciens" qui a donné à la basse un nouveau langage.
Le parcours musical de Colin Hodgkinson est celui d'une synthèse audacieuse. Il commence la guitare à l'âge de 10 ans avant de se tourner vers la basse à 14 ans, au début des années 60, une période de bouillonnement musical. Ses premières amours sont celles de sa génération : le rock'n'roll naissant, avec des figures comme Chuck Berry et Jimmy Reed dont il absorbe l'énergie brute.
Cependant, une fascination plus profonde et plus complexe va devenir la pierre angulaire de son art : le jazz. Il est captivé par les grands maîtres de la contrebasse, notamment Charlie Mingus, Red Mitchell et Ray Brown. Ce qui le frappe chez ces musiciens, c'est leur capacité à transcender le rôle purement rythmique de leur instrument. Ils ne se contentent pas de marquer le temps ; ils dialoguent, ils proposent des contre-mélodies, ils explorent des harmonies complexes. Cette liberté harmonique et ce rôle mélodique deviendront une obsession pour Hodgkinson. Simultanément, il développe une affinité profonde pour le blues, qu'il considère comme une forme de "vérité" musicale, un terrain où l'on ne peut tricher.
La véritable innovation de Hodgkinson naît de la fusion de ces mondes. Il n'a pas simplement imité ses idoles. Il a opéré une transposition conceptuelle rare pour l'époque : il a pris la liberté et la sophistication harmonique des contrebassistes de jazz et les a appliquées à un instrument électrique, la Fender Precision, dans un contexte de blues et de rock. Cette démarche n'était pas un simple mélange de genres, mais une réinvention fondamentale du rôle de la basse électrique. Elle cessait d'être un simple pilier rythmique pour devenir un instrument capable de porter la mélodie, les accords et l'harmonie, tout en conservant la puissance du son électrique. C'est cette traduction d'un langage musical à un autre qui est au cœur de son génie.
L'Aventure Back Door : La Basse en Premier Plan
En 1971, cette vision se cristallise avec la co-fondation du trio jazz-rock Back Door, aux côtés du saxophoniste Ron Aspery et du batteur Tony Hicks. La configuration instrumentale du groupe – saxophone, basse, batterie – est pour le moins atypique. L'absence de guitare ou de piano n'est pas perçue comme un manque, mais comme une contrainte créative qui devient une opportunité unique. Cette absence d'instrument harmonique traditionnel oblige Hodgkinson à combler l'espace sonore. Il développe alors un style révolutionnaire où il joue simultanément les lignes de basse fondamentales, les accords pour soutenir l'harmonie et les lignes mélodiques pour dialoguer avec le saxophone.
Leur approche est si novatrice que l'industrie musicale est d'abord déconcertée. Le groupe est systématiquement refusé par les maisons de disques, avec pour leitmotiv : "Pas de chanteur, pas de contrat". Déterminés, ils enregistrent et produisent eux-mêmes leur premier album en 1972. Le destin bascule lorsqu'une copie parvient au magazine musical influent NME. La critique est dithyrambique et une phrase, devenue iconique, cimente le statut de pionnier de Hodgkinson : il est décrit comme "l'homme que la basse Fender attendait depuis 25 ans".
L'expérience de Back Door a eu des répercussions bien au-delà de la carrière du groupe. En démontrant qu'un trio sans instrument harmonique conventionnel pouvait non seulement exister, mais aussi être acclamé par la critique, Hodgkinson a légitimé la basse en tant qu'instrument soliste et principal. Il a fourni une "preuve de concept" qui a ouvert la voie à d'autres virtuoses. Des musiciens comme Stanley Clarke, qui a reconnu avoir été fortement influencé après avoir vu Back Door en première partie d'un concert, ont pu par la suite s'imposer plus facilement comme des leaders de groupe, sachant qu'un précédent avait été établi. Back Door a ainsi joué un rôle crucial dans l'émancipation de la basse électrique.
La Technique d'un Virtuose Atypique
Le style de Colin Hodgkinson est immédiatement reconnaissable. Sa technique, souvent décrite comme un "tapping" brillant, lui permet de faire sonner sa basse "comme une guitare", enchaînant des lignes mélodiques complexes tout en maintenant un groove solide. Son approche est également très chordale, utilisant des accords complets pour dessiner l'harmonie. L'un des moments forts de ses concerts est son interprétation en solo de classiques du blues, où il chante en s'accompagnant uniquement de sa basse, démontrant une indépendance totale entre la voix et les mains.
Fidèle à son matériel, il a sculpté un son qui lui est propre. Sa philosophie est double : rester fidèle à ses convictions musicales tout en étant suffisamment polyvalent pour s'adapter à divers contextes professionnels, une dualité qui a défini sa longue carrière.
Catégorie | Équipement | Détails |
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Basses Principales | Fender Precision Bass 1962 | Son instrument de prédilection, avec un manche de 1963 et un corps de 1965. |
Warwick Thumb 5-String Fretless | Utilisé pour des sonorités différentes, notamment dans son travail en duo. | |
Amplification | Ampeg SVT avec baffle 8x10 | Pour un son puissant et rond, typique du rock et du blues. |
Amplis combo MARK et AER | Pour plus de polyvalence et de clarté dans des contextes jazz. | |
Cordes | Rotosound | Marque de prédilection pour ses basses. |
Effets | Boss Digital Delay, Boss Octaver | Utilisés avec parcimonie pour colorer son son sans le dénaturer. |
Après la dissolution de Back Door en 1977, Hodgkinson devient l'un des musiciens de session et de tournée les plus respectés et demandés du Royaume-Uni et d'Europe. Sa carrière est une traversée impressionnante de l'histoire du rock et du blues, marquée par des collaborations prestigieuses qui témoignent de sa polyvalence et de son immense talent.
Parmi ses collaborations les plus notables, on retrouve :
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Alexis Korner : Une relation professionnelle et amicale qui s'étend de 1969 jusqu'à la mort du "père du blues britannique" en 1984. Ils ont souvent tourné en duo, une formule qui mettait en valeur la richesse du jeu de Hodgkinson.
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Jan Hammer : Au début des années 80, il rejoint à New York le claviériste virtuose du Mahavishnu Orchestra pour plusieurs albums et tournées, s'immergeant dans le monde du jazz-fusion de haut vol.
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Whitesnake : Il participe à l'enregistrement de l'album Slide It In (1984), apportant sa touche au mix original britannique de ce classique du hard rock.
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Et bien d'autres : Sa discographie est un véritable "who's who" de la musique, incluant des sessions ou des tournées avec Mick Jagger, The Spencer Davis Group, Jon Lord (de Deep Purple), Chris Rea, et plus récemment, Ten Years After, dont il est devenu le bassiste en 2014.
L'héritage de Colin Hodgkinson est celui d'un pionnier sous-estimé. Son travail avec Back Door, en particulier, a préfiguré de nombreuses innovations qui seraient plus tard popularisées par des bassistes de renommée mondiale. Il a prouvé que la basse électrique pouvait être un instrument de premier plan, capable d'une complexité mélodique et harmonique rivalisant avec la guitare ou le piano. Sa contribution n'est pas celle d'une célébrité des magazines, mais celle, plus profonde et durable, d'un artisan visionnaire qui a élargi le vocabulaire de son instrument pour les générations à venir.
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