Né le même jour que le titan du jazz Ray Brown, Berto Pisano a suivi une trajectoire musicale qui l'a mené des clubs de jazz enfumés de l'après-guerre aux plateaux scintillants de Cinecittà. Il est devenu l'un des compositeurs les plus emblématiques de l'âge d'or de la musique de film italienne, un architecte sonore dont les mélodies sensuelles et les arrangements luxuriants ont défini l'esthétique du "lounge" et du cinéma de genre transalpin.
Umberto "Berto" Pisano est né à Cagliari, en Sardaigne, le 13 octobre 1928. Ses débuts musicaux se font à la contrebasse, au cœur de la scène jazz italienne. Il joue notamment au sein du Quartetto Astor puis des Asternovas, des formations dirigées par le célèbre crooner Fred Buscaglione. Cette formation initiale dans le jazz s'avérera cruciale pour la suite de sa carrière.
Dans les années 1960 et 1970, l'industrie cinématographique italienne est en pleine effervescence. Les films de genre – polars (poliziotteschi), comédies érotiques, gialli – sont produits à un rythme effréné et nécessitent des bandes sonores atmosphériques, stylées et composées rapidement. C'est dans ce contexte que des musiciens de jazz comme Pisano trouvent un terrain d'expression idéal. Son bagage de jazzman lui confère une maîtrise de l'harmonie, un sens du rythme syncopé et une capacité à improviser des arrangements qui le rendent parfaitement apte à créer des ambiances sonores sur mesure. Il troque alors progressivement son rôle de contrebassiste pour ceux de compositeur, d'arrangeur et de chef d'orchestre, devenant une figure incontournable des studios romains.
Le style de Berto Pisano est immédiatement reconnaissable. Il se caractérise par des thèmes "sensuels et langoureux" , des atmosphères "ensoleillées et relaxantes" , et une fusion audacieuse de genres. Ses compositions mêlent des grooves jazz-funk, des textures lounge sophistiquées et des touches d'expérimentation psychédélique. Il possédait un talent exceptionnel pour l'écriture et l'arrangement des cordes, créant des nappes orchestrales luxuriantes qui sont devenues sa signature. Son statut dans le milieu était tel qu'il était souvent sollicité pour diriger les orchestres lors de l'enregistrement des partitions de ses collègues, y compris le grand Piero Piccioni.
En 1974, il connaît un immense succès populaire avec le titre "A Blue Shadow". Thème mélancolique de la série télévisée Ho incontrato un'ombra, la composition, portée par une mélodie entêtante, se hisse au sommet des classements italiens, faisant de Pisano un nom connu du grand public. Sa filmographie est vaste et éclectique, illustrant sa capacité à sublimer des films aux budgets et aux ambitions variés. Parmi ses œuvres les plus marquantes, on peut citer :
-
Interrabang (1969) : Considérée comme un chef-d'œuvre du genre lounge, cette bande-son est un cocktail parfait de jazz, de bossa nova et de thèmes atmosphériques, sublimé par la voix éthérée d'Edda Dell'Orso.
-
Kill! Kill! Kill! Kill! (1971) : Une partition sauvage et explosive, mêlant funk brutal et orchestrations dramatiques, avec notamment le titre "Kill! Them All!" interprété par la légende de la soul Doris Troy.
-
Les films de genre : Il a excellé dans l'art d'ennoblir des films de série B, apportant une touche de sophistication à des comédies érotiques comme La Novizia ou à des gialli comme Nude per l'assassino (Strip Nude for Your Killer).
Pendant des décennies, une grande partie de l'œuvre de Berto Pisano est restée confinée aux films pour lesquels elle avait été créée. Beaucoup de ses bandes originales, en particulier celles pour des productions à petit budget, n'ont jamais été éditées en disque ou sont devenues des objets de collection hors de prix, voire considérées comme perdues.
Cependant, depuis le début du XXIe siècle, un mouvement de réhabilitation de ce patrimoine musical a vu le jour. Des labels "archéologues" passionnés, au premier rang desquels figure Four Flies Records, ont entrepris un travail de curation culturelle essentiel. En collaboration avec la famille Pisano, ils ont exhumé des bandes maîtresses originales, les ont restaurées et remasterisées, offrant à ces œuvres une nouvelle vie. Des trésors comme les bandes originales de La Novizia ou Nude per l'assassino ont ainsi été rendus accessibles pour la première fois.
Cette résurgence n'est pas un simple acte de nostalgie. Elle s'inscrit dans une réévaluation plus large de la "library music" et des musiques de genre. Ce qui était autrefois perçu comme fonctionnel est aujourd'hui célébré pour son audace, sa qualité d'exécution et son innovation. Grâce à ce travail de redécouverte, une nouvelle génération de collectionneurs, de DJ et de mélomanes peut enfin apprécier la richesse et la modernité de la musique de Berto Pisano, non plus comme un simple accompagnement, mais comme une œuvre artistique à part entière, un pilier du son italien des années 70.
Ajouter un commentaire
Commentaires