
Souvent photographié à ses débuts une Fender Precision Bass à la main, l'image de Wilson en tant que bassiste des Beach Boys est tenace. Mais quel était réellement son rôle ? Était-il le bassiste que l'on imagine ? Et surtout, quelle a été son influence sur l'instrument ? Il aura longtemps été l'architecte visionnaire et sonore du groupe.
Les Débuts : Le Bassiste de Scène (1961-1964)
Au commencement des Beach Boys, le groupe était une affaire de famille et d'amis. Dans cette configuration initiale, Brian Wilson a bel et bien tenu le rôle de bassiste. Armé le plus souvent d'une Fender Precision Bass (d'abord une Sunburst, puis la fameuse version Olympic White), il assurait les fondations rythmiques du groupe sur scène et sur les tout premiers enregistrements.
Son style de l'époque était typique du surf rock et du rock'n'roll naissant : efficace, énergique, mais relativement simple. Il jouait principalement des lignes de basse basées sur la fondamentale, la quinte et des motifs rythmiques suivant la batterie. C'était un rôle fonctionnel, celui de fournir le "bottom end" et l'assise harmonique aux guitares et aux voix. Des morceaux comme "Surfin' U.S.A." ou "I Get Around" illustrent bien ce style précoce. Il faisait le job, et il le faisait bien, mais le véritable génie de Brian Wilson pour la basse sommeillait encore.
Le Tournant : L'Abandon de la Scène pour le Studio
Fin 1964, épuisé par la pression des tournées et en proie à une anxiété grandissante, Brian Wilson prend une décision qui va changer à jamais la face de la musique pop. Il annonce qu'il arrête de tourner avec le groupe pour se consacrer exclusivement à l'écriture et à la production en studio.
Libéré des contraintes de la scène, son esprit créatif explose. Le studio devient son laboratoire, son sanctuaire. C'est là que sa vision de la basse va connaître une révolution copernicienne. Il n'est plus limité par ce qu'il peut jouer en chantant simultanément. Désormais, la seule limite est son imagination.
L'Ère du "Wrecking Crew" et la Naissance de la Basse Moderne
Pour matérialiser les paysages sonores complexes qu'il entendait dans sa tête, Brian a fait appel à un collectif de musiciens de studio d'élite, aujourd'hui légendaire : The Wrecking Crew. Et pour la basse, il a trouvé son interprète ultime en la personne de la phénoménale Carol Kaye.
Bien que d'autres bassistes talentueux du Wrecking Crew comme Lyle Ritz (notamment à la contrebasse sur Pet Sounds) aient contribué, c'est Carol Kaye qui a joué sur une quantité stupéfiante de hits des Beach Boys de cette période, de "California Girls" à "Help Me, Rhonda" en passant par l'intégralité du révolutionnaire album Pet Sounds et le single "Good Vibrations".
La relation de travail entre Wilson et Kaye était symbiotique. Brian n'arrivait pas en studio avec une simple grille d'accords. Il avait des idées de lignes de basse incroyablement précises, mélodiques et souvent complexes. Il chantait ou jouait au piano les lignes qu'il imaginait.
Carol, avec sa technique impeccable (elle jouait au médiator, avec un son percussif et clair), son sens inné du groove et sa musicalité, elle prenait les idées de Brian et les transformait en or. Elle apportait sa propre touche, suggérant des syncopes ou des notes de passage qui sublimaient la vision du compositeur.
Le résultat ? La basse n'était plus seulement un instrument rythmique cantonné aux notes fondamentales. Sous la direction de Wilson, elle devenait mélodique et contrapuntique : Écoutez la ligne de basse de "God Only Knows". Elle ne se contente pas de suivre les accords ; elle chante sa propre mélodie, créant un contrepoint magnifique avec la voix principale. Wilson utilisait des inversions d'accords et des progressions audacieuses, et les lignes de basse reflétaient cette sophistication. La basse devenait un guide harmonique essentiel.
Dans "Good Vibrations", la basse est un véritable moteur, avec des motifs changeants, des syncopes et une énergie qui propulse le morceau.
L'Héritage Bassistique de Brian Wilson
L'influence de cette approche est tout simplement colossale. En 1966, un jeune bassiste de Liverpool nommé Paul McCartney a reçu une copie de l'album Pet Sounds. Il a été abasourdi. Il a déclaré plus tard que "God Only Knows" était la plus belle chanson jamais écrite et que l'album dans son ensemble était une inspiration directe et majeure pour la création de Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band.
L'influence de Wilson a poussé McCartney à explorer des lignes de basse plus mélodiques, aventureuses et indépendantes sur sa fameuse Rickenbacker 4001S. L'impact de Wilson a donc, par ricochet, redéfini le rôle du bassiste dans le rock.
L'héritage de Brian Wilson est double. Déjà avec le son, sa combinaison d'une Fender Precision Bass, de cordes à filet plat (flatwounds), d'un jeu au médiator et souvent d'un étouffoir en mousse près du chevalet (le "mute") est devenue la recette du son de basse Motown et de la pop californienne des années 60. C'est un son chaud, rond, avec une attaque définie mais sans le "zing" métallique des cordes à filet rond.
Dans la composition, Wilson nous a appris que la basse peut être bien plus qu'une ancre. Elle peut être un personnage à part entière dans l'arrangement, une voix qui dialogue avec les autres instruments, une force motrice qui peut être à la fois subtile et incroyablement puissante.
Brian Wilson fut l'un des plus grands compositeurs pour la basse de tous les temps. Il était un bassiste dans sa tête, un architecte qui concevait des fondations si belles et si solides qu'elles ont permis de construire des cathédrales sonores. Il n'a peut-être pas toujours eu l'instrument entre les mains sur les enregistrements les plus célèbres, mais chaque note, chaque silence et chaque intention des lignes de basse légendaires des Beach Boys porte l'empreinte indélébile de son génie tourmenté et visionnaire. Il a entendu le futur de la basse et l'a offert au monde.
Au revoir Monsieur Wilson et merci.
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