Linda May Han Oh, la transformiste de la basse

Publié le 9 septembre 2025 à 06:53

La voix de la basse jazz moderne

Linda May Han Oh est un nom qui résonne avec une nouvelle autorité dans l'univers du jazz. Sa carrière incarne une redéfinition fondamentale du rôle du bassiste : d'un pilier de soutien à un architecte sonore central et conceptuel.

Au-delà de son rôle de virtuose, Linda Oh est une force aux multiples facettes : une bassiste lauréate d'un Grammy Award, une compositrice acclamée pour des ensembles de diverses tailles, une cheffe d'orchestre dotée d'une vision artistique unique et une éducatrice et militante dévouée. Ce document retrace son parcours, depuis ses débuts en Australie jusqu'à son ascension à New York, en contextualisant son œuvre dans une perspective plus large de croissance artistique et personnelle.

Du Perth à la scène de l'avant-garde

Le parcours musical de Linda May Han Oh est marqué par une trajectoire peu conventionnelle, reflétant une curiosité et une ambition qui dépassent les frontières d'un genre ou d'un instrument unique. Née en Malaisie en 1984, elle a déménagé en Australie avec sa famille peu après et a grandi à Perth, en Australie-Occidentale. Ses débuts dans la musique ont été remarquablement variés, débutant par le piano via la méthode Yamaha, qui mettait l'accent sur la connexion entre la musique, l'émotion et la couleur, plutôt que sur la simple exécution technique. Cette formation précoce a jeté les bases solides de sa future vie musicale, imprégnant sa manière de concevoir la musique de manière auditive et émotionnelle. Elle a également étudié d'autres instruments classiques, tels que le basson et la clarinette, avant de faire la rencontre qui allait changer le cours de sa vie artistique.

Le tournant décisif s'est produit au lycée, lorsqu'un oncle lui a offert une basse électrique. Influencée par la collection éclectique de sa sœur aînée, qui allait de John Zorn et Miles Davis à des groupes de rock comme les Red Hot Chili Peppers, elle a appris de manière autodidacte, en transcrivant des lignes de basse. Une « découverte marquante » a été d'entendre Ray Brown sur l'album Night Train d'Oscar Peterson, ce qui l'a poussée à se concentrer sur la contrebasse acoustique, un instrument qu'elle a commencé à maîtriser à la Western Australian Academy of Performing Arts (WAAPA).

Son engagement envers la rigueur théorique et la profondeur intellectuelle est un aspect clé de son développement. À la WAAPA, sa thèse a exploré l'utilisation par Dave Holland des rythmes de la musique classique indienne du Nord, une approche qui annonçait sa capacité future à fusionner des influences diverses. Cette démarche a souligné son engagement à comprendre les fondements théoriques et culturels de son instrument, au-delà de la virtuosité technique. Son déménagement à New York pour obtenir une maîtrise à la Manhattan School of Music a marqué la dernière étape de son ascension professionnelle, la plaçant au cœur de la scène jazz mondiale.

Le cœur de la philosophie artistique de Linda Oh réside dans le fait que sa musique est un vecteur pour explorer des thèmes complexes et des expériences personnelles, plutôt qu'une simple démonstration de talent. Elle a décrit son art comme une manière de canaliser sa « confusion et frustration » tout en y injectant de la « beauté » et de l'« émotion ». Cette profondeur intellectuelle et émotionnelle distingue son travail. Son processus de composition commence souvent par la recherche d'un sentiment ou d'un son spécifique, qu'elle capte dans des mémos vocaux avant de les structurer en pièces complexes. Elle s'interroge sur l'expérience qu'elle voudrait créer pour l'auditeur, et sur les paradoxes qui entourent la condition humaine.

La réputation de Linda Oh en tant que sideman est un pilier de sa carrière. Son objectif initial était de devenir une « bassiste forte et solide que les gens voudraient appeler ». Elle a largement atteint cet objectif, gagnant la confiance de légendes du jazz. La batteuse Terri Lyne Carrington la décrit comme « magistrale, polyvalente, solide, techniquement supérieure et créative », des qualités qui expliquent pourquoi elle est une collaboratrice si recherchée.

La connexion avec Pat Metheny

Sa collaboration sur l'album From This Place (2020) de Pat Metheny est un moment marquant. Metheny, un musicien connu pour ses standards exigeants, l'a décrite comme l'une des « nouvelles musiciennes les plus importantes de la scène new-yorkaise ». L'analyse des notes de pochette de l'album révèle que Metheny lui-même a spécifiquement demandé à Oh et au pianiste Gwilym Simcock de contribuer à l'orchestration de certaines pièces, reconnaissant leurs « dons particuliers ». Ce rôle d'arrangeuse pour une figure emblématique comme Metheny l'élève d'une interprète brillante à une partenaire créative essentielle.

Les partenariats avec Vijay Iyer et Terri Lyne Carrington

Linda Oh est une membre régulière du trio de Vijay Iyer et a collaboré à de multiples reprises avec Terri Lyne Carrington. Son travail sur l'album New Standards Vol. 1 de Carrington lui a valu un Grammy Award pour le Meilleur album de jazz instrumental en 2023, cimentant sa place au plus haut niveau de l'industrie. Sa présence au sein de ces ensembles illustres témoigne de sa maîtrise rythmique et de son esprit de collaboration. La trajectoire de sa carrière, qui mène de l'excellence en tant que sideman à l'expression d'une vision en tant que leader, n'est pas une contradiction, mais une progression logique et complémentaire.

Redéfinir le rôle de la basse

Le style de jeu de Linda Oh est une fusion de ses diverses influences. Sa technique est un mélange de ses études académiques sur le vocabulaire rythmique de Dave Holland et des éléments modernes qu'elle a intégrés. Son jeu de contrebasse est influencé par son apprentissage initial de la basse électrique, l'amenant à incorporer des techniques innovantes comme le slap et les harmoniques, élargissant ainsi la palette sonore de l'instrument. Elle est reconnue pour sa capacité à utiliser « chaque pouce de son instrument », créant des lignes de basse qui sont à la fois des fondations rythmiques solides et des éléments mélodiques à part entière.

Pour l'auditoire de gravebasse.com, les détails de son équipement sont essentiels. Elle utilise une contrebasse tyrolienne des années 1920 ou 1930, ainsi qu'une basse transformée en instrument à manche amovible par David Gage. Concernant ses cordes, elle utilise un mélange de D'Addario Zyex, Pirastro Oliv et Thomastik-Infeld Spirocore, chaque choix contribuant à sa sonorité distinctive.

Au-delà de sa technique, c'est sa philosophie qui la distingue véritablement. Elle a souligné l'importance d'être un « musicien sincère »  et de se concentrer sur l'« apport musical » plutôt que sur des aspects plus superficiels ou marketing. Cette approche se reflète dans son enseignement, où elle met l'accent non seulement sur la technique, mais aussi sur l'« importance de connaître la mélodie ». Son processus de composition, qui part d'idées abstraites et de sentiments pour créer des pièces complexes, démontre que pour elle, l'art est une exploration du langage humain, une quête de la connexion et de la profondeur.

L'influence de Linda Oh s'étend bien au-delà de la scène. Elle est professeure associée au Berklee College of Music, un poste qui lui permet de façonner la prochaine génération de musiciens de jazz. Son enseignement est complet, englobant des séminaires sur la composition et des masterclasses qui traitent de sujets spécifiques à l'instrument, tels que l'amplification et le choix des cordes. Elle est également impliquée dans l'Institut pour le jazz et la justice de genre, dirigé par Terri Lyne Carrington, une initiative qui la positionne comme une défenseure active de l'équité dans le jazz.

Le film Pixar Soul

Un aspect unique et important de son héritage est sa participation au film d'animation Soul de Pixar en 2020. Elle n'a pas seulement été la bassiste vedette sous la direction musicale de Jon Batiste, mais elle a également servi de modèle physique pour le personnage de Miho, la bassiste du film. Ce rôle novateur a permis à son art et à l'esprit du jazz d'atteindre un public mondial et grand public, offrant une représentation puissante et accessible d'une femme bassiste de jazz. Cette opportunité a élargi de manière significative la visibilité de l'instrument et du genre.

Un héritage tourné vers l'avenir

En analysant la trajectoire de Linda May Han Oh, il devient évident que sa contribution au jazz moderne est multiforme. Elle a redéfini le rôle du bassiste en le transformant d'un rôle de support à celui d'une voix centrale, capable de mener un dialogue artistique profond et de donner vie à des compositions complexes. Son parcours, de son enfance multiculturelle à la scène jazz de New York, montre une artiste qui explore en permanence les possibilités de son instrument et de son art.

Ses albums en tant que leader, qu'il s'agisse de la virtuosité collective de Aventurine, de la profondeur thématique de The Glass Hours ou du dialogue intime de Strange Heavens, révèlent une vision artistique qui refuse de se limiter. Son rôle de sideman, salué par des figures comme Pat Metheny et Terri Lyne Carrington, lui a permis de maîtriser l'art de l'interaction et de la collaboration, une compétence qui renforce sa propre vision en tant que leader.

Son travail en tant qu'éducatrice à Berklee et son rôle dans l'Institut pour le jazz et la justice de genre confirment son engagement à façonner l'avenir du jazz de l'intérieur. En étant la bassiste et le modèle du personnage de Miho dans le film Soul, elle a brisé des barrières, rendant le jazz et la basse plus visibles pour une nouvelle génération. Son histoire est un témoignage que, comme l'a noté une publication majeure, une « voix majeure de la basse » peut être une force de changement, repoussant les frontières du genre, de l'art et des normes sociétales. Son héritage continuera de s'épanouir.

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Droits réservés - Photos de Shervin Lainez

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