Eastwood Mad Cat Bass, l'héritage d'un Prince

Publié le 29 septembre 2025 à 16:39

La guitare « Mad Cat » est indissociable de l'ascension fulgurante de Prince au début des années 80 : le pickguard léopard inimitable, le corps flammé ceinturé d'une bande de noyer, et ce son funk-rock mordant qui a défini une époque. Cet instrument n'était pas seulement une basse ; c'était une déclaration, une pièce maîtresse de l'arsenal visuel et sonore de l'artiste qui allait révolutionner la musique populaire. C'est cet héritage puissant que la marque Eastwood Guitars a décidé de transposer dans le monde des basses fréquences avec la Eastwood Mad Cat Bass.

Ce nouvel instrument se présente comme une extension audacieuse de cette légende, une tentative de capturer la magie visuelle et l'esprit rebelle de l'originale pour les bassistes. L'intention est claire : offrir aux gardiens du groove une part du mythe. Mais au-delà de l'hommage, une question fondamentale se pose. La Eastwood Mad Cat Bass est-elle un tribut fidèle et fonctionnel, capable de s'imposer comme un instrument professionnel à part entière? Ou s'agit-il principalement d'un objet de nostalgie, une pièce de collection destinée aux admirateurs inconditionnels de l'icône de Minneapolis? Cet article se propose d'analyser en profondeur cette basse pour déterminer si elle est un simple clin d'œil au passé ou un véritable outil pour le musicien d'aujourd'hui.

Pour comprendre l'aura de la Mad Cat Bass, il est impératif de revenir aux origines de son aînée à six cordes. L'histoire commence au Japon en 1973, loin des projecteurs de Minneapolis. C'est au sein de la société Moridaira, réputée pour ses guitares acoustiques de qualité sous la marque Morris, que le projet voit le jour. La marque H.S. Anderson est alors lancée comme une ligne de prestige, une sorte de « custom shop » visant le marché professionnel japonais. Le design de la Mad Cat est attribué à M. Shiino Hidesato (dont les initiales forment le « H.S. »), qui aurait finalisé une esquisse dessinée de manière informelle par le célèbre guitariste japonais Takahiko Ishikawa lors d'une rencontre.

Ce qui distingue immédiatement la Mad Cat des nombreuses copies de Fender de l'époque, c'est sa philosophie de construction unique. Il ne s'agissait pas d'une simple imitation, mais d'une réinterprétation luxueuse. Sa structure est particulièrement distinctive : une bande centrale en noyer est prise en sandwich entre deux ailes en frêne (ou en sen, un bois japonais similaire), le tout recouvert d'une table et d'un fond en érable flammé ou tigré. Cette approche, décrite comme un design « all in », créait un instrument non seulement magnifique mais aussi très résonant. Pour parfaire son caractère hybride, elle était équipée d'un chevalet fixe de type Stratocaster et de micros simple bobinage s'en approchant, lui conférant une signature sonore plus claquante et distincte de la Telecaster standard.

L'histoire de sa commercialisation est souvent mal comprise. Moridaira n'a pas vendu les droits à la société allemande Hohner. En réalité, le fabricant japonais a produit une petite série d'environ 500 unités en OEM (Original Equipment Manufacturer) pour Hohner, qui les a distribuées aux États-Unis. Ces modèles, identiques en qualité et en provenance, arboraient simplement le logo Hohner sur la tête. La production de ces versions à tête Fender cessa rapidement, non pas tant à cause d'un procès intenté par Fender — une rumeur persistante — mais plus probablement parce que les ventes initiales furent décevantes.

C'est là que la légende prend son envol. À la fin des années 70 ou au début des années 80, un jeune artiste du nom de Prince Rogers Nelson acquiert l'un de ces rares modèles Hohner. Le mythe veut qu'il l'ait achetée pour 30 dollars dans une station-service, principalement attiré par son esthétique : le pickguard léopard correspondait parfaitement à ses tenues de scène extravagantes.1 Mais ce qui aurait pu n'être qu'un accessoire de mode s'est révélé être un instrument d'une qualité exceptionnelle. La Mad Cat est rapidement devenue sa guitare principale en studio et sur scène, l'accompagnant sur des albums fondateurs comme Dirty Mind, Controversy, 1999 et, bien sûr, l'emblématique Purple Rain.1 Son statut d'instrument sérieux fut cimenté par le technicien de longue date de Prince, Takumi Suetsugu, qui l'aurait qualifiée de meilleure Telecaster qu'il ait jamais jouée.

L'instrument est devenu si essentiel que Prince en a commandé des répliques exactes au luthier Roger Sadowsky pour ses tournées. Son statut d'icône fut définitivement scellé lors du fameux solo de « While My Guitar Gently Weeps » au Rock and Roll Hall of Fame en 2004, où, à la fin d'une performance époustouflante, la guitare fut lancée en l'air pour être rattrapée en coulisses. Cette histoire illustre bien le paradoxe de la Mad Cat originale : c'est une « copie » qui a transcendé son modèle. Elle n'était pas une imitation bon marché, mais un instrument de lutherie de haute qualité, vendu à un prix conséquent pour l'époque (80 000 yens en 1976), qui, entre les mains d'un génie, est devenue une légende. Tout hommage, comme celui d'Eastwood, doit donc être jugé à l'aune de cette excellence inattendue, et non simplement sur sa ressemblance visuelle.

Pour évaluer la Eastwood Mad Cat Bass, un examen détaillé de ses caractéristiques techniques est indispensable. C'est en disséquant ses composants que l'on peut comprendre les choix du fabricant et les comparer à l'instrument légendaire qui l'a inspirée.

Le point de divergence le plus significatif entre la basse Eastwood et la guitare originale réside dans le choix des bois du corps. Alors que la H.S. Anderson était célèbre pour sa construction complexe en frêne, noyer et érable flammé, Eastwood a opté pour un corps en tilleul. Ce choix a des implications majeures. Le tilleul est un bois plus léger et moins coûteux, connu pour sa réponse en fréquence équilibrée mais avec un caractère tonal souvent perçu comme moins complexe et riche que celui du frêne. Cette décision positionne d'emblée la Mad Cat Bass comme un hommage avant tout visuel, où la fidélité matérielle passe au second plan, probablement pour maintenir un prix accessible.

Le manche vissé est en érable, surmonté d'une touche en palissandre (rosewood) ornée de repères en points. La caractéristique déterminante est son diapason court de 30 pouces (short scale), associé à 20 frettes medium jumbo et une largeur au sillet de 1,625 pouces (environ 41,3 mm). Ce diapason court, comme nous le verrons, a un impact considérable sur la jouabilité et le son.

L'accastillage est entièrement chromé. On y trouve des mécaniques à engrenages ouverts de style vintage et un chevalet réglable avec un cache chromé distinctif, où les cordes s'ancrent à l'arrière du chevalet (rear string mount) et non à travers le corps comme sur la guitare originale. L'électronique se compose de deux micros simple bobinage « custom » conçus par Eastwood, contrôlés par un sélecteur à trois positions, un volume général et une tonalité générale. Il est intéressant de noter qu'un prototype présenté dans une vidéo promotionnelle précoce montrait des interrupteurs individuels on/off pour chaque micro, une caractéristique qui n'a pas été retenue sur le modèle de production final.

Enfin, l'esthétique, bien qu'inspirée, prend quelques libertés. La basse arbore une finition 3-tone sunburst de style vintage, qui se démarque du fini blond naturel de la guitare de Prince. Ce choix confère à la basse une identité propre, tout en restant dans un registre classique. Le fameux pickguard est une recréation moderne du motif léopard. Les puristes noteront peut-être des différences, comme en témoignent certains propriétaires de la version guitare d'Eastwood qui choisissent de remplacer le pickguard pour un modèle plus fidèle à l'original.

La première impression lorsqu'on prend en main la Mad Cat Bass est dominée par son diapason court de 30 pouces. Cette caractéristique offre des avantages ergonomiques indéniables : le rapprochement des frettes facilite le jeu pour les musiciens aux mains plus petites, la tension des cordes est réduite, ce qui rend les bends plus aisés et procure une sensation de jeu globalement plus souple (« slinky »), et l'instrument est plus compact et maniable. Pour de nombreux bassistes, ces éléments se traduisent par un confort accru, particulièrement appréciable lors de longues sessions de jeu.

Cependant, l'esthétique de la Mad Cat Bass, héritée de la Telecaster, soulève une préoccupation ergonomique majeure : le risque de « neck dive ». Ce phénomène, où la tête de l'instrument pique vers le sol lorsqu'elle n'est pas soutenue, est un défaut rédhibitoire pour beaucoup de musiciens. Il contraint la main gauche à supporter en permanence le poids du manche, ce qui engendre de la fatigue, une crispation inutile et une technique de jeu altérée. La conception de la Mad Cat Bass la prédispose à ce déséquilibre. La forme du corps de style Telecaster est dépourvue de corne supérieure allongée, un élément de design crucial qui, sur des basses comme la Precision Bass, déplace le point d'attache de la sangle vers la 12ème frette et assure un équilibre optimal. Combiné à un corps potentiellement léger en tilleul et un manche en érable de masse standard, la physique suggère une tendance à être plus lourde côté tête. Cette hypothèse est renforcée par des témoignages d'utilisateurs concernant d'autres modèles Eastwood plus anciens, qui se plaignaient d'un déséquilibre prononcé.

Ce potentiel déséquilibre est plus qu'un simple défaut technique ; il représente le point de friction où l'identité de la Mad Cat Bass en tant qu'« hommage » entre en conflit avec sa fonction d'« outil ». La tolérance d'un musicien à ce compromis ergonomique déterminera en grande partie sa perception de l'instrument. Un fan de Prince, jouant quelques morceaux à la maison, pourrait considérer ce déséquilibre comme une bizarrerie charmante, une partie du caractère de l'instrument. En revanche, un bassiste professionnel jouant un concert de trois heures y verra une source constante de fatigue et de frustration, un obstacle à sa performance. L'équilibre de la basse n'est donc pas un détail, mais le facteur critique qui départagera les utilisateurs. C'est l'épreuve de la réalité pratique qui suit inévitablement la séduction visuelle initiale, et un point que tout acheteur potentiel doit considérer avec le plus grand sérieux.

Du Funk de Minneapolis au Rock Moderne

Eastwood Guitars décrit la palette sonore de la Mad Cat Bass avec des termes évocateurs : « clarté, punch et chaleur stupéfiants », capable de passer de « l'épanouissement luxuriant des sons vintage short-scale à un tranchant moderne et hargneux ». Ce discours marketing sert de point de départ pour une analyse plus approfondie basée sur les composants de l'instrument.

Le cœur du son réside dans sa configuration de deux micros simple bobinage custom. Ce choix suggère un son fondamentalement plus brillant, articulé et avec plus d'aigus qu'une basse équipée d'un micro splitté de type Precision. Le caractère se rapprocherait davantage de celui d'une Jazz Bass, mais avec des propriétés tonales uniques dues à son diapason court et à son corps en tilleul. Des avis sur la version guitare de la Mad Cat d'Eastwood décrivent ses micros comme ayant une voix proche de ceux d'une Stratocaster, pouvant sonner un peu « minces » sans une égalisation appropriée, ce qui corrobore l'idée d'une base sonore claire et définie.

Le diapason de 30 pouces apporte sa propre signature sonore. Les basses short scale produisent intrinsèquement une note fondamentale plus prononcée avec des harmoniques moins complexes, un son souvent décrit comme un « thump » ou un « bloom ». Cela se traduit par des basses fréquences rondes et puissantes qui s'intègrent très bien dans un mix, mais qui peuvent parfois manquer de la richesse harmonique et du sustain d'un diapason de 34 pouces, particulièrement sur la corde de Mi.

Le caractère sonore final de la Mad Cat Bass est donc une synthèse de ces éléments : la clarté et le mordant des micros simple bobinage, combinés à la rondeur fondamentale du diapason court. Cette fusion promet une grande polyvalence :

  • Micro chevalet seul : On peut s'attendre à un son brillant, percussif et agressif, idéal pour le rock, le punk ou pour percer un mix dense.

  • Micro manche seul : Le son devrait être plus chaud, plus rond et boisé, parfait pour les lignes de basse funk classiques, la soul ou le reggae.

  • Les deux micros ensemble : Cette position offre typiquement un son creusé dans les médiums, avec des basses profondes et des aigus claquants, une configuration très appréciée pour le slap ou les styles de jeu modernes.

Pour sculpter davantage ce son, plusieurs options s'offrent au musicien. Une suggestion récurrente dans les discussions de bassistes est le montage de cordes à filet plat (flatwound). Ces cordes permettent de maîtriser la brillance naturelle des micros simple bobinage tout en accentuant le « thump » caractéristique du diapason court. Le résultat est un son plus vintage, profond et velouté, évoquant les productions Motown, ce qui pourrait être une association particulièrement réussie avec l'esthétique de la Mad Cat Bass.

Pour bien cerner la place de la Eastwood Mad Cat Bass, il est essentiel de la situer dans le paysage concurrentiel des basses à diapason court, un marché dynamique où plusieurs modèles de référence coexistent.

Le concurrent inévitable est la Fender Mustang Bass. C'est la référence à laquelle presque toutes les basses short scale sont comparées. La confrontation directe révèle des philosophies très différentes.

  • Héritage et Esthétique : La Mad Cat tire sa légitimité d'une seule icône énigmatique, Prince, ce qui lui confère une aura de niche, presque « boutique ». La Mustang, quant à elle, possède un héritage plus large, associée à des scènes entières comme l'indie rock et la musique alternative, ce qui en fait un choix plus conventionnel et répandu.

  • Philosophie Sonore : Avec ses deux micros simple bobinage, la Mad Cat promet une polyvalence et une brillance proches d'une Jazz Bass. La plupart des Mustang modernes utilisent un micro splitté de type Precision, seul ou en configuration PJ (Precision/Jazz), offrant le son punchy et centré sur les médiums qui est la signature de Fender. Ce sont donc deux outils sonores fondamentalement distincts.

  • Ergonomie et Design : Le corps de style Telecaster de la Mad Cat présente un défi potentiel en matière d'équilibre. Le corps asymétrique (offset) de la Mustang, avec sa corne supérieure allongée, offre généralement un équilibre supérieur et un meilleur confort de jeu.

Pour offrir une perspective complète, il convient de mentionner brièvement d'autres acteurs importants du marché :

  • Gibson/Epiphone SG Bass : Célèbre pour son micro manche « mudbucker » au son extrêmement grave et parfois peu défini, elle est aussi connue pour ses propres problèmes de déséquilibre.

  • Gretsch G2220 Junior Jet : Une option économique populaire, équipée de mini-humbuckers qui lui donnent une couleur sonore différente, plus épaisse que des simples bobinages.

  • Sire Marcus Miller U5 : Un modèle moderne très apprécié pour son excellent rapport qualité-prix, sa configuration PJ polyvalente et sa qualité de fabrication.

  • G&L Fallout : Une alternative de haute qualité dotée d'un puissant micro humbucker MFD, offrant un son plus moderne et agressif que les autres modèles.

La Mad Cat Bass se positionne donc comme un choix de caractère. Elle ne cherche pas à rivaliser avec la Mustang sur son propre terrain, mais propose une alternative esthétiquement audacieuse avec une palette sonore qui lui est propre.

En définitive, la Eastwood Mad Cat Bass est un hommage charismatique et réussi à l'une des guitares les plus reconnaissables de l'histoire du rock. Elle offre une signature sonore distincte et un style sans pareil. Cependant, tout acheteur potentiel doit l'approcher avec une compréhension claire de sa nature : c'est un instrument de milieu de gamme dont la conception privilégie une esthétique iconique au détriment d'un équilibre ergonomique parfait et d'une fidélité historique matérielle absolue. Pour le bon musicien, son charme sera irrésistible ; pour le bassiste purement pragmatique, ses particularités méritent une mûre réflexion. C'est, en somme, une basse avec une personnalité immense, qui exige un joueur capable de l'assumer.

Ecouter le résumé audio de cet article

Caractéristiques : 

  • Corps : tilleul
  • Manche : érable
  • Touche : palissandre, marqueurs de points
  • Longueur de l'échelle : 30"
  • Largeur au sillet : 1,625"
  • Frettes : 20, Medium Jumbo
  • Micros : 2x Single Coil personnalisés
  • Commandes : commutateur à 3 positions, volume, tonalité
  • Chevalet : réglable, support de corde arrière, couvercle chromé
  • Matériel : Chrome, mécaniques à engrenages ouverts
  • Poids : 3,85 kg

Ajouter un commentaire

Commentaires

Il n'y a pas encore de commentaire.