
Dans un univers musical largement dominé par les basses solid-body au design classique, la basse Epiphone Jack Casady se dresse comme une anomalie, un instrument qui a su se forger une place de choix en défiant les conventions. Elle n'est pas une simple réplique ou une alternative abordable, mais le fruit d'une quête sonore de plusieurs décennies menée par une figure légendaire du rock : Jack Casady. En tant que bassiste de Jefferson Airplane et de Hot Tuna, Casady a laissé une empreinte indélébile sur l'histoire de la musique, non seulement par son jeu novateur, mais aussi par sa recherche incessante d'un instrument capable de transcender les frontières entre les sonorités électriques et acoustiques.
La genèse de la basse Epiphone Jack Casady remonte aux années 1970, lorsque le bassiste du Jefferson Airplane a découvert la basse Gibson Les Paul Signature. Il a été immédiatement captivé par l'instrument, qui offrait un manche full-scale et une caisse entièrement creuse, des caractéristiques rares à l'époque. Pendant des années, Jack Casady a expérimenté divers instruments dans sa quête d'une basse qui produirait un "son électrique supérieur et la réponse d'une basse acoustique". L'architecture semi-creuse de la Les Paul Signature semblait la réponse idéale, unissant la chaleur et la résonance d'une caisse creuse avec l'amplification d'une basse électrique.
Cependant, au fil des années, Casady a perçu une faiblesse cruciale dans la conception de l'originale. Le micro monté sur la Les Paul Signature manquait de "définition tonale en situation de jeu d'ensemble" et produisait un son jugé "un peu boueux".1 Cette lacune a constitué le moteur narratif et technique de sa collaboration ultérieure. Plutôt que de simplement chercher à copier un instrument vintage, Casady aspirait à corriger ce défaut, à créer un instrument qui préserverait la tonalité unique de la caisse creuse tout en offrant la clarté et la présence nécessaires pour se tailler une place dans un mix moderne, en particulier face aux claviers et à d'autres instruments à large spectre.
Epiphone, le choix stratégique
En 1998, avec la volonté de rééditer la basse qui avait tant marqué son parcours, Jack Casady a approché Gibson. La société a toutefois décliné son offre, considérant la basse comme un "canard bizarre" ou un instrument trop singulier pour être produit sous la prestigieuse marque Gibson. Cette décision a ouvert la voie à une rencontre fortuite et déterminante. Casady fut mis en contact avec Jim Rosenberg, alors président d'Epiphone. Rosenberg, percevant le potentiel du projet, a proposé de la produire en Corée. Cette stratégie visait à la rendre "abordable" et accessible à un public beaucoup plus large.
Le choix d'Epiphone n'a pas été un compromis de qualité, mais une décision réfléchie qui a permis de démocratiser une idée de conception de niche. Casady lui-même a déclaré que le savoir-faire coréen était "bien supérieur aux modèles Gibson originaux". La collaboration a pris près de deux ans pour affiner le design et, surtout, pour perfectionner l'électronique de l'instrument. Le résultat est une basse qui a non seulement honoré le design initial, mais qui l'a également amélioré de manière significative pour les musiciens du 21ème siècle. Le fait que Casady utilise encore aujourd'hui les modèles de série pour ses tournées atteste de la réussite de cette collaboration et de la qualité de l'instrument.
L'équilibre entre résonance et contrôle
Au premier coup d'œil, la basse Epiphone Jack Casady se distingue par son élégante silhouette semi-creuse, une réminiscence de l'architecture des guitares jazz et des basses vintage. La construction de son corps repose sur des couches d'érable laminé pour le dos, les côtés et la table, tandis que le manche collé est fabriqué en acajou ou en érable. Cette combinaison de bois est choisie pour sa capacité à produire une tonalité naturelle et boisée, tout en assurant une bonne projection acoustique. L'instrument est pourvu de deux ouïes en "F", qui ne sont pas purement décoratives, mais qui jouent un rôle clé dans la résonance du son.
Cependant, une analyse plus approfondie de sa conception révèle une innovation qui la distingue des basses entièrement creuses. La basse Jack Casady n'est pas une "vraie caisse creuse" dans le sens où elle possède un bloc interne, un "solid spine" en pin flûté, qui court sous le chevalet. Loin d'être un compromis, ce bloc a été délibérément conçu pour offrir un soutien structurel, minimiser les risques de larsen à haut volume et contrôler la résonance excessive ("hollow body honkiness"). Cette conception hybride lui confère un équilibre parfait entre la résonance riche d'une caisse creuse et la stabilité et le sustain d'une basse solid-body. Cette approche a permis de créer un instrument qui conserve ses qualités acoustiques sans les inconvénients souvent associés aux basses creuses traditionnelles.
Le cœur battant de la basse Jack Casady réside dans son électronique, qui a été l'objet d'une attention méticuleuse de la part de son concepteur. L'instrument est équipé d'un micro unique, le JCB-1, un humbucker à faible impédance. Ce micro a été conçu spécifiquement pour produire un son "pur et naturel" et se distingue des micros à haute impédance et des circuits actifs, qui peuvent, selon Casady, manquer de la même clarté tonale.
Le secret de sa polyvalence réside dans le sélecteur rotatif VariTone, une caractéristique électronique unique qui permet de transformer radicalement le son de l'instrument. Ce commutateur à trois positions fonctionne comme un transformateur d'impédance, offrant des réglages à 50, 250 et 500 ohms. Chaque réglage modifie la réponse en fréquence et le niveau de sortie du micro, offrant au bassiste une palette sonore étonnamment large.
Un examen détaillé des expériences d'utilisateurs révèle les profils sonores distincts de chaque position :
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50 ohms : C'est le réglage le plus apprécié par de nombreux joueurs, produisant un son "chaleureux et thumpy" avec un caractère "acoustique" prononcé et une clarté quasi-pianistique. Il offre des médiums riches et des aigus subtils, idéal pour les lignes de basse mélodiques et rondes.
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250 ohms : Cette position offre un son équilibré, un "all-purpose sound" qui se situe entre les extrêmes, souvent comparé à la sonorité d'une basse de type Precision Bass (P-Bass), mais avec la rondeur supplémentaire apportée par la caisse semi-creuse.
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500 ohms : Le réglage le plus puissant, il délivre un son "gros, bassy et beefy" avec une sortie accrue et des médiums prononcés. Ce son est parfait pour percer un mix de groupe et est parfois comparé aux sonorités agressives d'une Epiphone Thunderbird.
La combinaison de ce micro innovant et de son sélecteur VariTone, un véritable transformateur de tonalité, explique pourquoi la basse Jack Casady, malgré son unique micro, est considérée comme un instrument d'une grande polyvalence. Loin d'être un "one-trick pony" comme certains le prétendent, elle offre un éventail de sonorités distinctes et de caractère qui la rendent applicable à une grande variété de genres musicaux, du rock et du blues au jazz et au country.
La sonorité et la qualité
Sur le terrain, la basse Epiphone Jack Casady se distingue par une sonorité "phénoménale" et une qualité de fabrication qui impressionne, notamment au vu de son prix. Les utilisateurs louent un son "riche", "chaud, profond, avec de la clarté et de l'articulation". Son "thump" distinct, une signature sonore qui lui est propre, est souvent mis en avant. Cette basse est saluée comme un instrument qui sort de l'ordinaire, capable de s'adapter à une variété de contextes musicaux, de la clarté d'un morceau de jazz aux sonorités saturées du rock.
De nombreux avis soulignent l'excellente qualité de fabrication, en particulier pour un instrument produit en Chine. Des professionnels à la retraite et des musiciens de bar expriment leur admiration pour la qualité de la finition, l'intonation précise et les frettes bien ajustées. La basse est décrite comme un instrument de "haute qualité" et bien fait, une qualité de construction qui était même jugée supérieure aux modèles Gibson originaux selon Jack Casady. Ce niveau de qualité explique pourquoi de nombreux bassistes professionnels choisissent cet instrument comme leur "GO TO" bass pour leurs performances sur scène et en studio.
Bien que la basse Jack Casady soit largement acclamée pour son son, elle n'est pas sans défis ergonomiques, des points qui, pour certains musiciens, sont un prix à payer pour sa sonorité unique. Le "neck dive" ou le déséquilibre du poids de l'instrument est un problème fréquemment mentionné. Ce phénomène, où le manche a une tendance à plonger vers le sol, est principalement causé par le poids de ses mécaniques. Un autre point de friction est la taille du corps, jugée "énorme" par certains, qui peut rendre l'instrument inconfortable pour les petits gabarits ou lors de sessions de jeu prolongées en position assise.
De plus, le manche est souvent décrit comme "épais" ou "massif", ce qui n'est pas au goût de tous les joueurs habitués aux profils plus fins de marques comme Fender. Enfin, le potentiomètre de tonalité est une source de critiques récurrentes, de nombreux utilisateurs le considérant comme "essentiellement un interrupteur on/off".
Ces caractéristiques physiques, qui peuvent être perçues comme des défauts, sont inextricablement liées à la conception unique de la basse. Le corps semi-creux est la source de sa résonance acoustique distincte, tandis que la légèreté générale du corps, un avantage pour la plupart des joueurs, est ce qui cause le déséquilibre du manche. Il est donc essentiel de comprendre que le son signature de la Jack Casady et ses défis ergonomiques sont deux faces d'une même pièce. L'instrument est un choix qui demande au bassiste d'accepter ses particularités pour en tirer le meilleur.
La basse Epiphone Jack Casady a été produite dans une gamme de finitions standard et d'éditions spéciales qui la rendent visuellement aussi distinctive que sa sonorité. Les couleurs classiques incluent l'Ebony, le Sparkling Burgundy et le Metallic Gold. Au fil des ans, des éditions limitées très recherchées ont été mises sur le marché, notamment la finition Silverburst, le Pelham Blue (disponible en 2011) et l'Alpine White. Il existe également une version fretless spéciale dans une finition Aged Royal Tan, offrant une alternative pour les bassistes cherchant un son encore plus organique et onctueux.
Pour de nombreux bassistes, la Jack Casady est un instrument qui, bien que déjà excellent, peut être amélioré par quelques modifications ciblées. Ces ajustements ne sont pas des correctifs de défauts de fabrication, mais des optimisations pour transformer la basse en un instrument de travail professionnel et fiable.
En fin de compte, la basse Epiphone Jack Casady n'est pas un instrument fait pour tout le monde. C'est un choix de caractère, une basse qui célèbre l'héritage d'un musicien de rock légendaire et qui, pour beaucoup de bassistes, représente la fin de la quête du son parfait. Elle est une invitation à s'approprier un instrument, à le faire évoluer et à en découvrir toutes les richesses, un voyage sonore qui ne fait que commencer dès la première note.
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