Née un 18 octobre 1984, Esperanza Spalding est une force intellectuelle et artistique qui a remodelé les contours du jazz contemporain. En tant que contrebassiste, chanteuse, compositrice et universitaire, elle incarne un nouvel archétype de l'artiste de jazz : une visionnaire dont le travail n'est pas seulement une expression émotionnelle, mais aussi une recherche rigoureuse et interdisciplinaire, comblant le fossé entre le conservatoire, le laboratoire et la salle de concert.
D'une prodige classique à un phénomène du jazz : une ascension fulgurante
L'histoire d'Esperanza Spalding commence à Portland, dans l'Oregon, dans un contexte de précarité. Élevée par une mère célibataire qui jonglait avec plusieurs emplois, son enfance a été marquée par la pauvreté et des problèmes de santé, notamment une arthrite juvénile idiopathique qui l'a contrainte à être scolarisée à domicile pendant une grande partie de ses années de primaire. C'est dans ce cadre qu'elle a découvert la musique. Autodidacte, elle a commencé le violon à l'âge de cinq ans et a rapidement rejoint la Chamber Music Society of Oregon. Son talent était si précoce qu'à l'âge de 15 ans, elle en était la violoniste solo (premier violon).
Cependant, ce parcours classique, bien que brillant, ne la comblait pas. La transition vers la contrebasse à l'âge de 15 ans, un instrument qu'elle a découvert par hasard dans la salle de musique de son lycée, a été une révélation. Elle a décrit ce moment comme le fait de « se réveiller un jour et de réaliser que l'on est amoureux d'un collègue ». Ce changement n'était pas seulement instrumental, mais philosophique. Le violon l'avait placée dans un monde structuré et hiérarchique, tandis que la contrebasse lui ouvrait les portes de la liberté d'improvisation et de la profondeur harmonique du jazz. Sa formation classique n'a pas été abandonnée, mais réorientée. La discipline et la compréhension de l'intonation acquises au violon lui ont donné un avantage unique, en particulier sur la basse fretless (sans frettes), où la justesse dépend entièrement de l'oreille et de la précision du positionnement de la main, une question de « distance et de temps ».
Son ascension a été fulgurante. Après avoir obtenu son diplôme de fin d'études secondaires (GED), elle a intégré le prestigieux Berklee College of Music, où elle a obtenu sa licence en seulement trois ans. À 20 ans, elle est devenue la plus jeune enseignante de l'histoire du conservatoire, un témoignage de sa maîtrise et de sa maturité exceptionnelles.
La voix et la basse en dialogue harmonique : une technique singulière
La signature artistique d'Esperanza Spalding réside dans sa capacité extraordinaire à chanter et à jouer de la basse simultanément, non pas comme un chanteur s'accompagnant, mais comme deux voix engagées dans une conversation contrapuntique complexe. Elle improvise souvent une ligne mélodique vocale tout en jouant une ligne de basse tout aussi complexe et indépendante.
Cette compétence est le fruit d'un travail acharné. Elle pratique des exercices spécifiques pour développer l'indépendance harmonique, comme jouer des gammes dans une direction à la basse tout en les chantant dans une autre. L'arrangeur Gil Goldstein a souligné le caractère unique de cette capacité, notant qu'elle peut « chanter la mélodie et assurer l'accompagnement avec les notes de basse pour elle-même », protégeant le rythme tout en étant mélodiquement libre. Cette approche redéfinit fondamentalement le rôle du bassiste-chanteur. Spalding incarne deux des voix mélodiques et harmoniques de son ensemble, créant une texture plus riche et plus dense que ce qui est typique pour un groupe de cette taille.
Sa maîtrise s'étend à la fois à la contrebasse et à la basse électrique. Son instrument principal est une contrebasse 7/8 d'origine inconnue, qu'elle décrit comme étant « vivante et très ouverte ». Sur la basse électrique, elle privilégie les modèles fretless, comme la Fender Jaco Pastorius Jazz Bass, car l'absence de frettes correspond à son sens de l'intonation hérité du violon.
Un nouvel espoir pour le jazz : influence et héritage
Le moment décisif de la carrière de Spalding est sans doute sa victoire aux Grammy Awards en 2011 dans la catégorie « Meilleur nouvel artiste ». En battant des géants de la pop comme Justin Bieber et Drake, elle est devenue la première artiste de jazz à remporter ce prix, attirant une attention sans précédent sur le genre.
Elle est aujourd'hui considérée comme un « avatar d'un jazz nouveau et recontextualisé ». Elle élargit la définition du jazz en y intégrant un métissage radical des genres, le multilinguisme et une pertinence sociale, rendant la musique commercialement viable sans en sacrifier l'intégrité artistique. Son parcours académique, de Berklee à sa nomination comme professeure à l'Université Harvard, est également au cœur de son identité. Ce rôle d'éducatrice et de théoricienne nourrit ses projets et renforce son statut d'artiste-intellectuelle.
Pour une génération de musiciens et d'auditeurs, Esperanza Spalding représente un « espoir pour l'avenir de la musique ». Elle est une artiste expérimentale et non commerciale qui repousse sans cesse les limites, une véritable « force de la nature » dont l'impact se fera sentir pendant des années. Son héritage ne réside pas seulement dans sa virtuosité technique, mais dans son rôle d'élargissement des possibilités intellectuelles et fonctionnelles de ce que la musique, et en particulier le jazz, peut être au 21e siècle.
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