
Pour certains musiciens, l'instrument n'est pas un choix, mais une évidence, une extension naturelle de leur être. Pour Joshua Crumbly, né le 15 octobre 1991, la basse semble avoir été cette évidence, un destin façonné par un environnement familial et une soif inextinguible d'apprentissage qui l'ont placé à l'avant-garde de la scène jazz contemporaine.
Né à Los Angeles, Joshua Crumbly a baigné dans la musique avant même de savoir marcher. Son père, le saxophoniste Ronnie Crumbly, a fait de leur foyer un lieu d'immersion sonore constante. C'est tout naturellement qu'il commence le piano classique à l'âge de trois ans, développant une oreille et une discipline remarquables qui lui permettent de participer à des récitals après seulement quelques mois de pratique.
Pourtant, à neuf ans, une autre voix l'appelle : celle, plus grave et plus viscérale, de la basse électrique. Cette transition n'est pas un abandon, mais une addition. Sa formation initiale au piano lui a inculqué une compréhension profonde de l'harmonie, de la structure des accords et de la mélodie. En se tournant vers la basse, il n'a pas simplement changé d'instrument ; il a choisi un nouveau médium pour exprimer cette connaissance harmonique, l'ancrant solidement dans le rythme et le groove. Cette double compétence précoce est devenue l'ADN de son style futur : un jeu de basse qui ne se contente pas de soutenir, mais qui chante, dialogue et propose des contre-mélodies riches. Très vite, il met cette musicalité à l'épreuve de la scène, jouant régulièrement avec son père et à l'église, forgeant une expérience du direct bien avant l'âge adulte.
L'étape suivante de son parcours fut tout aussi prestigieuse. En 2009, son talent le mène aux portes de la Juilliard School à New York, l'une des institutions musicales les plus réputées au monde. C'est là qu'il ne se contente pas d'affiner sa technique, mais qu'il se connecte à la lignée historique du jazz en étudiant auprès d'un panthéon de maîtres de la basse.
Sa liste de mentors se lit comme un chapitre de l'histoire de l'instrument : le regretté Al McKibbon, qui a accompagné des géants comme Charlie Parker ; des virtuoses contemporains comme Reggie Hamilton et Victor Bailey, figure de proue de la fusion avec Weather Report ; et surtout, la légende vivante Ron Carter, dont le travail avec Miles Davis a redéfini le rôle de la contrebasse. Il a également été guidé par d'autres figures majeures comme Marcus Miller et Rickey Minor. Cet apprentissage auprès des maîtres n'a pas fait de lui un simple imitateur. Au contraire, en absorbant les traditions du post-bop, de la fusion et du jazz classique, il a assemblé les outils nécessaires pour construire sa propre voix. Il n'a pas rejeté la tradition ; il l'a assimilée pour mieux la prolonger et la faire dialoguer avec des sonorités contemporaines.
Son ascension fut fulgurante. Dès sa première année à Juilliard, il est repéré par le trompettiste et compositeur de renom Terence Blanchard. Il rejoint son quintet, avec lequel il tournera pendant cinq ans à travers le monde. Cette collaboration aboutit à l'enregistrement de l'album Magnetic (2013), nominé aux Grammy Awards, sur lequel Crumbly partage les parties de basse avec son propre mentor, Ron Carter, et signe même une composition, "Jacob's Ladder".
Cette première expérience de haut vol a ouvert la voie à une carrière de sideman exceptionnellement riche et variée. Il devient un musicien de choix pour la nouvelle scène jazz, notamment aux côtés du saxophoniste Kamasi Washington, dont il accompagne les explorations cosmiques et spirituelles. Sa capacité à naviguer entre les genres est stupéfiante. Il fournit le groove soul et vintage pour le chanteur Leon Bridges, la profondeur lyrique pour la chanteuse Lizz Wright, et la retenue narrative pour la légende du folk Bob Dylan, apparaissant dans son film-concert de 2021, Shadow Kingdom. Des artistes comme Ravi Coltrane, Stefon Harris et Anthony Wilson font également appel à lui.
Cette liste éclectique de collaborations démontre que son jeu de basse transcende les étiquettes. Ce que ces leaders artistiques recherchent, au-delà de la virtuosité, c'est une musicalité profonde et une capacité d'écoute rare. La basse de Joshua Crumbly n'est pas un son rigide, mais un langage qu'il adapte à chaque conversation musicale, faisant de lui l'un des bassistes les plus polyvalents et recherchés de sa génération.
Après des années passées au service de la vision des autres, Crumbly a ressenti le besoin d'exprimer la sienne. En 2020, il sort son premier album solo, Rise. Loin d'être une simple démonstration technique, l'album est une œuvre introspective née d'une période de doutes personnels, comme il l'a expliqué. Le son est un mélange organique de jazz, de rock et de soul, avec des compositions qui s'éloignent volontairement de la structure jazz classique pour explorer des formes plus libres et narratives.
Son deuxième album, ForEver, sorti en 2021, pousse cette exploration encore plus loin. Décrit comme une "lettre à demain" et un "câlin chaleureux dans l'espace intérieur", l'œuvre est plus ambiante et minimaliste. Elle embrasse la quiétude, la solitude et la réflexion, intégrant des textures électroniques subtiles pour créer des paysages sonores cinématographiques. Ces projets solo révèlent une facette plus profonde de l'artiste : celle d'un compositeur qui utilise la musique instrumentale comme un journal intime sonore. La basse n'est plus seulement un instrument, mais l'outil avec lequel il écrit son histoire personnelle et sa quête spirituelle.
Le son de Joshua Crumbly est une extension de sa personnalité musicale : chaleureux, réfléchi et expressif. Son choix d'équipement est au service de cette vision. Sur ses albums solo, il privilégie le son rond et organique de la Fender Precision Bass, un instrument archétypal qu'il pousse dans ses retranchements. Il utilise également des basses comme l'Epiphone Jack Casady ou une MTD Kingston pour des textures différentes. Côté amplification, il fait confiance à des classiques comme Ampeg et Fender, ainsi qu'à la polyvalence de Markbass.
Sa technique est un reflet de sa double formation : il combine des lignes de basse profondément ancrées dans le groove avec une approche mélodique qui inclut des accords et des double-stops, joués avec une technique à trois doigts (pouce, index, majeur) qui peut rappeler celle d'un guitariste fingerstyle. Sa philosophie de composition, basée sur la répétition méditative de motifs qui évoluent en morceaux complets, confère à sa musique une qualité hypnotique et organique. En fin de compte, chaque élément, de son choix d'instrument à sa manière de composer, est subordonné à l'émotion et à l'atmosphère. Il ne cherche pas à impressionner, mais à émouvoir, faisant de lui non seulement un bassiste virtuose, mais un véritable artiste.
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