
Sur une scène monumentale comme celle du Madison Square Garden ou du Caesars Palace, Robert "Bob" Birch était l'image même de la réussite.1 En tant que bassiste et choriste pour Elton John, il incarnait le professionnalisme et la maîtrise, fournissant la fondation rythmique pour l'une des plus grandes superstars mondiales. Il était le musicien des musiciens, un pilier discret mais essentiel, connu pour sa précision impeccable. Pourtant, cette image publique de succès et de stabilité masquait une réalité bien plus sombre. Devenu le bassiste ayant servi le plus longtemps dans le groupe d'Elton John, Birch a mené pendant près de deux décennies un combat privé contre une douleur chronique et invalidante, une souffrance qui contrastait violemment avec la joie qu'il projetait sur scène. Cette biographie explore cette dichotomie : la célébration d'une vie musicale extraordinaire définie par un talent et un dévouement immenses, et l'examen sensible de la profonde souffrance personnelle qui se cachait sous la surface, menant finalement à une conclusion tragique.
Né le 14 juillet 1956 à Detroit, Michigan, Robert Wayne Birch a grandi dans les banlieues de Sterling Heights et St. Clair Shores, au cœur même du son qui allait façonner la musique populaire américaine. Son environnement était un creuset musical, et la musique était un héritage familial. Son père, Chet, un contrebassiste, a été sa première et principale source d'inspiration, instillant en lui une profonde appréciation pour la musique dès son plus jeune âge. Très tôt, Birch a fait preuve d'une polyvalence remarquable, développant ses compétences sur trois fronts musicaux distincts. Son premier instrument fut le saxophone alto, sur lequel il imitait les styles des légendes du jazz Paul Desmond et Cannonball Adderley. Vers la septième année, fasciné par le "son Motown", il s'est tourné vers la basse électrique. Parallèlement, sa passion pour la musique classique l'a poussé à maîtriser le basson, un domaine dans lequel il a excellé en remportant des concours. Cette triple formation en jazz, R&B et classique a créé un musicien d'une adaptabilité presque sans égale. Son talent a été reconnu très tôt, recevant le prestigieux prix Louis Armstrong Jazz au lycée avant d'obtenir une licence en éducation musicale et en interprétation à l'Université Wayne State. Après une brève carrière d'enseignant, il a plongé dans la scène des clubs de Detroit, se produisant six soirs par semaine et affinant son art sur le terrain.
Vers 1981, Bob Birch a déménagé à Los Angeles pour poursuivre une carrière musicale à plein temps. En 1985, il a rejoint le groupe de rock AOR Fortune, avec lequel il a enregistré un album éponyme devenu un classique culte. La carrière de Birch a pris un tournant décisif grâce à une tournée mondiale avec le légendaire José Feliciano et, surtout, sa rencontre avec le claviériste Guy Babylon. Cette connexion s'est avérée être le pivot de sa carrière. Lorsque Guy Babylon a été recruté par Elton John, il l'a recommandé pour le projet parallèle Warpipes, un groupe formé avec d'autres piliers de la bande d'Elton, le guitariste Davey Johnstone et le batteur Nigel Olsson. Birch a joué de la basse et du saxophone sur leur album de 1991,
Holes in the Heavens, une expérience qui a servi d'audition de facto. En travaillant aux côtés du noyau dur du groupe d'Elton, Birch a prouvé non seulement sa compétence musicale, mais aussi sa compatibilité personnelle, une qualité essentielle pour la vie en tournée.
En février 1992, lorsque le bassiste Pino Palladino n'était pas disponible pour la tournée à venir de l'album The One, Davey Johnstone a immédiatement recommandé Birch pour le poste. Le 26 mai 1992, Bob Birch a joué son premier concert avec Elton John, entamant une collaboration qui allait durer deux décennies. Il est rapidement devenu le bassiste ayant la plus longue longévité dans l'histoire du groupe, participant à plus de 1 441 concerts. Sa contribution en studio a commencé avec l'album
Made in England en 1995 et s'est poursuivie sur des œuvres majeures telles que The Big Picture (1997), Peachtree Road (2004) et The Captain & The Kid (2006). Il a également joué sur le single le plus vendu de tous les temps, "Candle in the Wind 1997". Son son était aussi constant que sa présence. Birch était farouchement fidèle à ses basses Music Man StingRay 5, qu'il utilisait exclusivement avec Elton John, créant une signature sonore claire et profonde qui est devenue une partie intégrante du son de l'artiste pendant vingt ans.
Sa longue collaboration avec Elton John, qu'il décrivait lui-même comme le "paradis du musicien de studio", lui a ouvert les portes d'un large éventail de projets. Sa polyvalence lui a permis de naviguer avec une aisance déconcertante entre des genres musicaux radicalement différents. Il a eu l'honneur de travailler avec la royauté du blues sur l'album
B.B. King & Friends : 80, aux côtés de légendes comme Eric Clapton. Sa virtuosité technique a brillé lors de ses collaborations avec l'icône du rock progressif Keith Emerson et le guitariste Marc Bonilla. Sa réputation s'étendait bien au-delà, l'amenant à tourner avec Billy Joel et à enregistrer avec une liste impressionnante d'icônes de la pop et du rock, dont Lionel Richie, Sting, Stevie Wonder et Tina Turner.
En 1995, alors qu'il se trouvait à Montréal pour une tournée, la vie de Bob Birch a basculé. Il a été heurté de plein fouet par une camionnette, lui causant de multiples fractures aux deux jambes et à deux vertèbres. Ce fut le point de départ d'une épreuve de dix-sept ans, une bataille silencieuse et acharnée contre une douleur qui ne le quitterait plus jamais. Les conséquences de l'accident ont été dévastatrices et permanentes, incluant des douleurs constantes, des maux de tête, des vertiges et des étourdissements. Son ami et collègue, le batteur Nigel Olsson, a témoigné de l'ampleur de sa souffrance, déclarant que Birch avait consulté "des centaines de médecins, mais rien ne pouvait réparer les dommages". Lors de sa dernière tournée, une chute a aggravé son état, le forçant à jouer assis sur un tabouret sur scène — une image poignante de sa détermination à continuer malgré l'agonie. Cette longue bataille physique a eu un impact profond sur sa santé globale, entraînant de graves problèmes gastro-intestinaux dans les dernières semaines de sa vie.
Le 15 août 2012, la longue et douloureuse bataille de Bob Birch a pris fin. Âgé de 56 ans, il a été retrouvé mort près de son domicile à Los Angeles, la cause du décès étant un suicide apparent par arme à feu. Sa mort n'était pas un acte soudain, mais la conclusion tragique de près de deux décennies de souffrance. La nouvelle a provoqué une onde de choc dans le monde de la musique. Elton John a publié une déclaration profondément émouvante, exprimant sa dévastation : "Pour moi, Bob était de la famille. Il a été membre de mon groupe pendant 20 ans ; nous avons joué plus de 1400 concerts ensemble. Il était l'un des plus grands musiciens avec qui j'ai jamais travaillé, et pendant toutes nos années sur la route, il n'a jamais joué ou sang une fausse note". Billy Joel a fait écho à ce sentiment, soulignant à la fois son talent et son caractère : "C'était un musicien brillant, un vrai professionnel et un homme merveilleux avec qui travailler... Je le considérais comme un bon ami". Ces hommages révèlent que son héritage va bien au-delà de ses lignes de basse ; il était autant apprécié pour ce qu'il était que pour ce qu'il jouait.
L'histoire de Bob Birch est celle d'une réussite musicale suprême et d'une profonde tragédie humaine. Forgé dans le creuset musical de Detroit, son talent aux multiples facettes l'a propulsé au sommet de l'industrie, où il est devenu l'ancre inébranlable de l'un des plus grands groupes de tournée au monde. Il était le "musicien des musiciens" par excellence. Pourtant, derrière l'artiste de classe mondiale se cachait un homme menant une bataille héroïque et silencieuse contre une douleur inimaginable. Son dévouement à son art face à une telle adversité témoigne d'une force de caractère extraordinaire. Le legs de Bob Birch ne réside pas seulement dans les lignes de basse parfaites ou la longue liste de ses collaborations, mais dans le souvenir d'un homme qui, malgré sa souffrance, a apporté de la joie à des millions de personnes, soir après soir, avec un professionnalisme et une grâce qui ne seront jamais oubliés.
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