
Si vous n’avez jamais vu un monument se déboulonner tout seul de son piédestal pour aller remettre en question ce qui l’a élevé jusqu’à présent, eh bien David Jacob incarne parfaitement cette image après des décennies passées au sein de Trust, ce géant du rock français. Il revient avec un projet personnel pour le moins étonnant mais superbe et sincère au travers d’une nouvelle formation, Yacouba Trio, qui représente son travail, ses inspirations et son incroyable volonté de nous faire voyager dans son univers teinté de Jazz.
Comment es-tu devenu musicien ? C’était une volonté ?
Absolument pas. Je suis né au Havre à une époque où la ville était communiste et elle avait fait le choix de décentraliser le conservatoire. Du coup, dans mon petit village, j’ai pu apprendre le solfège au CE2. C’était des profs du conservatoire qui venait à l’école primaire et au bout de deux ans, si tu apprenais bien, tu pouvais rentrer directement au conservatoire. Seulement à partir de ce moment, tu pouvais choisir de jouer d’un instrument.
Alors quand on m’a demandé de quel instrument je voulais jouer, j’ai dis… l’accordéon !
A l’époque, j’étais fan d’accordéon et j’en écoutais beaucoup chez ma grand-mère.
Mais à cette époque, on n’enseignait pas l’accordéon dans les conservatoires et comme mon père voulait que je fasse de la guitare… J’ai dis trompette alors ! C’était les débuts de mon côté rebelle alors j’ai fait de la trompette jusqu’à mes 16 ans.
Ensuite, j’avais besoin de partir et de m’émanciper. Je sentais bien que le lycée n’était plus pour moi alors je me suis engagé dans la Marine. Je voulais faire musique de flotte, embarquer sur la Jeanne d’Arc et faire le tour du monde !
Mais il n’y avait plus de place alors je me suis retrouvé radiotélégraphiste, ce qui n’a absolument rien à voir mais j'ai pu quand même jouer du clairon, ce qui m'a permis de gagner des points et de pouvoir passer en grade rapidement. Par contre, tu as l'obligation de jouer alors il arrivait souvent que je n’avais pas de week-end parce que il y avait une cérémonie sur une autre base navale mais je garde des bons souvenirs tout ça.
On me dit souvent, David, du coup c'est ta passion, la musique ? Non, ma passion, elle est ailleurs, mais c'est vraiment ma vocation. J'ai vraiment le sentiment que je suis fait pour ça et j’ai eu la chance de faire de la basse car comme beaucoup de bassiste, je suis devenu bassiste par accident. Je rejoins un groupe de rock à l’époque où je pensais jouer de la guitare et je me retrouve avec une basse entre les mains et après, ma bonne étoile m’a emmené complètement dans la musique.
Et aujourd’hui, t’es plutôt connu pour être le bassiste de Trust, un monument du rock, et te voilà avec un projet jazz à la contrebasse. C’est plutôt un virage à 180 degrés ?!
Ah oui ce virage est le fruit d'une longue histoire et, pour être honnête, d'un incroyable concours de circonstances. J'ai toujours refusé d'être cloisonné. J'aime autant la musique baroque française que le rock le plus brut. Le premier album de rock que j'ai acheté, c'était Marche ou Crève de Trust. À l'époque, je n'y comprenais rien, ça braillait, il n'y avait pas de mélodie, mais j'adorais l'énergie, la pochette... Mon envie de musicien a toujours été guidée par la curiosité, que ce soit jouer avec un orchestre symphonique, ce que j'ai fait, ou explorer le jazz. Ce projet solo est l'aboutissement de cette philosophie.
Mais d'où vient l'étincelle qui t’a poussé à apprendre la contrebasse si tardivement ? C'est un instrument plutôt exigeant.
C'est une anecdote assez folle ! En septembre 2018, je me suis retrouvé au Conservatoire National Supérieur de Paris. J'y étais en tant qu'ambassadeur pour l'association Audition Solidarité, qui fait notamment de la prévention auditive. En voyant tous ces jeunes musiciens brillants, "ces gamins" comme je dis, je me suis fait une réflexion un peu folle : "Et pourquoi je ne reprendrais pas mes études, moi aussi ?". La décision a été instantanée. Le jour même, depuis Paris, j'ai appelé l'école de musique de Bezons, où j'habitais. Je demande : "Donnez-vous des cours de contrebasse ?". On me répond oui. "Est-ce qu'il reste de la place ?". La personne me dit : "Il reste une place, Monsieur". J'enchaîne : "Et les inscriptions, c'est jusqu'à quand ?". Réponse : "Jusqu'à demain". Je peux vous assurer que le lendemain, j'y étais avec mon dossier ! C'était un signe du destin.
Et cet instrument, la contrebasse, quelle relation entretiens-tu avec ?
C'est une relation profonde. Au début, franchement, je jouais "comme une patate" ! Ça n'a rien à voir avec la basse électrique, il faut tout réapprendre : la posture, la justesse, et surtout le jeu à l'archet, que je n'avais jamais pratiqué. J'ai eu la chance de tomber sur des professeurs incroyables comme Charlotte Testud en classique et surtout Yves Torchinsky en jazz, qui est devenu un ami. Et puis, cet instrument a une charge émotionnelle immense pour moi. Quand ma maman est décédée il y a quelques années, j'ai touché un petit héritage. C'est cet argent qui m'a permis d'acheter ma contrebasse actuelle. Elle était si fière quand j’ai repris mes études... Alors, quand je joue, j'ai vraiment le sentiment qu'elle est là, avec moi. C'est peut-être l'endroit où je me sens le mieux au monde : derrière mon instrument.
Le projet solo, le Yacouba Trio, est donc né de ces études. Comment passe-t-on d'un projet d'étudiant à un album signé sur un label ?
C'est la meilleure partie de l'histoire, un véritable accident ! Dans le cadre de mon diplôme (le DEM), je devais présenter une épreuve de "projet personnel" en avril 2024. Très prévoyant, dès août 2023, je me suis dit que j'allais composer les quatre titres requis et les maquetter pour les donner au jury. Je les enregistre avec des amis, Hakim Molina et Nicolas Noël, de manière très simple. Une fois les maquettes prêtes, je les envoie à un tourneur en Normandie et à un petit label dont on m'avait parlé, juste "au cas où". Et là, tout s'emballe. Le tourneur me rappelle et me dit : "C'est bon, je t'ai trouvé une date en février 2024 !". Je lui réponds : "Mais je n'ai que quatre morceaux !". Il me dit : "Débrouille-toi, la date est signée". Quinze jours après, le label me rappelle : "On adore, on veut te signer". J'ai cru que tout allait trop vite ! Je suis entré dans une phase de composition intense, une période anxiogène et chronophage, avec des nuits blanches à douter d'une note, d'un accord... Mais c'est de cette pression qu'est né l’album.
Cet album, Ouida Road, semble être une véritable plongée dans ton histoire ?
Absolument, c'est un album qui raconte qui je suis. Mon frère a fait un test ADN qui a tout changé : il a révélé que j'étais Béninois à 25% ! Ça expliquait enfin ce sentiment incroyable d'être "chez moi" que j'avais ressenti en allant au Bénin. Le nom du trio, "Yacouba", est une africanisation de mon nom, Jacob, qui est un nom d'esclave. C'était une façon de me le réapproprier. Et "Ouida Road" fait référence à la route des esclaves à Ouidah, au Bénin, ce chemin que mes ancêtres ont foulé.
Chaque titre est une photo : "Station Stalingrad" raconte mon premier rendez-vous avec ma compagne, où je l'ai attendue une heure dans le froid glacial. "LH" est un duo avec le trompettiste de Lenny Kravitz, Ludo Louis, qui est un ami d'enfance, un "frérot". Ses grands-parents habitaient l'étage au-dessus du mien. "Yacouba's Bounce", c'est simplement moi sur scène, je ne suis pas du genre statique ! Et même « Why Tea", c'est un hommage à mon professeur, Yves Torchinsky…
Ce besoin de t’exprimer dans un autre style vient-il d'une frustration d'avoir été "enfermé" dans le rock pendant des années ?
Totalement. C'est une frustration énorme, et je pense que c'est un problème très français. On adore mettre les gens dans des cases. Mon ami, l'immense bassiste Étienne Mbappé, me l'a confirmé. Lors de notre première rencontre, il m'a dit : "Tu sais que je t'envie ?". Je n'y croyais pas ! Il m'a raconté qu'en arrivant d'Afrique, il jouait "Antisocial" à la guitare et voulait faire du rock. Mais dès son arrivée en France, on l'a regardé et on lui a dit : "Toi, tu viens d'Afrique, tu dois faire de la musique soukous". C'est ça, le cloisonnement. Moi, j'ai toujours voulu faire comme un Frank Zappa, qui pouvait passer du rock à la musique classique et au jazz sans que personne ne s'en offusque. Ce projet, c'est ma liberté.
Maintenant que l'album est sorti, quelle est la suite ?
L'album est sorti en vinyle d'abord, c'était une condition pour moi, puis sur les plateformes et en CD. Nous avons déjà des dates qui tombent pour 2026, notamment au festival "Jazz au confluent", donc le projet commence à être identifié. Mais c'est un travail de longue haleine. Je passe un temps fou sur la communication, les réseaux, la relance des contacts... et c'est un crève-cœur. Chaque heure passée sur mon téléphone est une heure que je ne passe pas à jouer de mon instrument. C'est le paradoxe : je suis heureux que ça marche, mais je suis malheureux de ne pas pratiquer assez.
Mais l'inspiration, elle, ne s'arrête pas. Le prochain album est déjà presque prêt dans ma tête, avec des titres inspirés par la littérature, comme "Valse for Douglass", un hommage à l'écrivain et abolitionniste Frederick Douglass. Le plus important, c'est de continuer à avancer, de faire de belles rencontres et de voir les gens repartir d'un concert avec la banane. C'est ça, notre rôle, non ? Surtout aujourd'hui.
About New Album
Sortie officielle le 11 avril 2025
David « Yacouba » Jacob, le bassiste emblématique de Trust vous présente son nouveau projet, Ouida Road, qu’il a longuement muri … Ce musicien polyvalent et passionné a exploré des horizons variés, de la world music au blues en passant par le jazz, collaborant avec des talents comme Geoffrey Oryema, Ilène Barnes et Ladell McLin.
Les morceaux fusionnent le jazz des années 60 avec des influences ethniques qui le nourrissent depuis toujours. Un parcours riche, en constante évolution ;
A travers ses compositions largement inspirées par le Hard bop, la world Music et les musiques de film, David « Yacouba » JACOB nous emmène sur ses chemins de vie…
« Ouida Road » fait référence à ses origines Béninoises, « Why Tea » rend hommage à Yves TORCHINSKY, « Sunday Market » est un clin d’œil au marché dominical du petit coin de Normandie …
Tracklist Vinyle :
A1 – Why Tea 05:55
A2 – Ouida Road 04:55
A3 – LH 03:34
A4 – Lily 06:47
B1 – Hell Heaven Blues 05:35
B2 – Sunday Market 05:12
B3 – Station Stalingrad 05:16
B4 – Yacouba s Bounce 04:02
David « Yacouba » Jacob : Contrebasse
Hakim Molina : Batterie
Nicolas Noël : Piano
Special Guest : Ludovic Louis (Bugle sur LH)
Tous les titres composés par David « Yacouba » Jacob.
existe aussi en CD et Digitale sur toutes les plateformes
Ajouter un commentaire
Commentaires